Il y a 80 ans, 10 mars 1937, la Guerre d’Espagne s’invite au large de Brest…

Conde de Zubiria

Le 10 mars 1937, 15h53, le sémaphore d’Ouessant intercepte le S.O.S du Conde de Zubiria, ayant l’indicatif E.A.R.D. A ce premier appel de détresse, l’Abeille 22 appareille pour porter secours au cargo. Cette aide est refusée. Dans la confusion, plusieurs messages sont échangés entre les 2 navires…A 17HO9, alors qu’il se trouve à 1 mille de Ouessant, le Conde de Zubiria adresse un message aux autorités annulant son S.O.S, il est finalement secouru par le « Couronne de Marie » bateau de pêche de Ouessant… Le convoi se rend à Brest sous la surveillance de l’Abeille 22, à 21h10 le cargo est au mouillage à l’abri dans la rade de Brest…Que s’est-il passé ?

Deux témoignages relatés dans la presse locale nous informent :

Celui de Noël CUILLANDRE, ancien pilote de la station de Brest, matelot, membre de l’équipage du « Couronne de Marie », bateau de pêche de Ouessant, patron Jean ROCHER et l’équipage étant complété par le matelot Maurice MARREC et René CUILLANDRE, cousin de Noël CUILLANDRE ;

« Nous nous trouvions au Stiff de retour de pêche, quand le canon d’alarme se fit entendre, aussitôt mon patron nous demanda de reprendre la mer car on avait d’abord cru que c’était un bateau qui avait fait naufrage. Peu après, on comprit qu’il s’agissait d’un cargo bombardé par un autre navire. Le cargo se trouvait à ce moment à environ 4 milles de la côte. En arrivant près du navire, à un mille et demi de la baie du Stiff, le capitaine nous fit signe de monter à bord.

En ma qualité d’ancien pilote, je montais sur le vapeur, que je sus plus tard être le Conde de Zubiria. Je me mis à la disposition du capitaine qui me remercia chaleureusement puis nous mîmes le cap sur Brest par le chenal du Four. Il était à ce moment 17h30, on aperçut le chalutier qui à la vue des hydravions venus nous survoler filait à toute vapeur. Il disparut bientôt à l’horizon vers le nord-ouest.

Le canot de sauvetage du Stiff avait également pris la mer, mais il n’eut pas à intervenir.

Le commandant du Conde de Zubiria me montra l’obus tombé au milieu du pont et qui n’avait pas éclaté. C’était un projectile du calibre de 105m/m… Quant au deuxième obus, il avait traversé les pavois au-dessus du pont par le travers de la cale avant, sur tribord.

Vers 18h, près des Plâtresses nous avons rencontré l’Abeille 22, qui ne fit que nous convoyer. »

Le commandant du Conde de Zubiria, José BERTIA,  raconte :

  « Nous avions quitté Port-Talbot le 9 mars à 15h, presque sur lest, pour Bilbao.

A 15h, cet après-midi, nous avons aperçu au loin, un chalutier battant pavillon républicain espagnol. Dix minutes plus tard, il arborait brusquement le pavillon monarchiste. A 3 milles et demi de nous il ouvrit le feu.

Nous avons aussitôt changé de route, remontant Ouessant par le Nord et toujours poursuivis parallèlement par le chalutier. Le navire agresseur était armé de deux canons, l’un à l’avant et l’autre à l’arrière et de deux mitrailleuses. Il tira contre nous de 50 à 60 obus qui doivent être du calibre de 95 m/m ».

Pour échapper à son agresseur, le Conde de Zubiria fut contraint de parcourir en zigzag une quinzaine de milles, soit le double de la route qui eut été normale en d’autres circonstances. Arrivé à Brest, grâce au matelot CUILLANDRE, on apprit qu’il y avait à bord deux matelots blessés…

Le Conde de Zubiria, jaugeant 2602 tonneaux, appartenait à la Compagnie des Hauts Fourneaux de Bilbao, ce navire assurait le transport de minerai entre le Pays Basque et l’Angleterre, son équipage était de 38 hommes, au moment des faits la cargaison était composée de 50 tonnes de métaux divers : Chrome, zinc, cuivre, étain et nickel. Cette cargaison, si précieuse en temps de guerre, était-elle visée par cet « acte de piraterie » dans les eaux territoriales françaises ? Malgré la violation manifeste du droit international et la protestation, notamment du Parti Communiste, qui organise dès le 13 mars une manifestation de soutien aux marins espagnols et demande la nomination d’une commission d’enquête parlementaire, les autorités françaises restent muettes allant même jusqu’à faire disparaitre la preuve du « délit », l’obus retrouvé sur le pont, qui est balancé par-dessus bord…

rapport de police suite à la manifestation du 12 mars 1937 (archives Brest métropole)
Rapport de police suite à la manifestation du 12 mars 1937 (archives Brest métropole)

 

article paru dans la "dépêche de Brest"
Article paru dans “La Dépêche de Brest” (13 mars 1937)

Ne craignait-on pas de trouver sur celui-ci quelques marques de fabrication allemandes ou italiennes ?