“Un regard innocent. Journal de la guerre civile en Espagne” de Encarnació Martorell i Gil, éditions Métailié (2011)

Encarnació avait 12 ans quand la guerre d’Espagne a commencé et, encouragée par son institutrice, una maestra de la República, elle décide de tenir un journal, à partir du 19 juillet 1936.

Née en 1924 à Barcelone, elle y vit avec sa famille (son père, sa mère, son frère Ángel, sa petite sœur Neus) et raconte comme Anne Franck dans son “Journal”, le quotidien de Barcelone. C’est une fine observatrice qui avec une centaine de récits, décrit la hausse des prix, les privations de nourriture et de vêtements, les heures interminables de queues, la honte de porter des vêtements déchirés, l’angoisse des bombardements, l’affliction des mères, la cruauté de la mort, la douleur des siens, la souffrance du départ au front des hommes et des adolescents si jeunes, l’arrivée des populations civiles réfugiées de Madrid assiégé puis des autres régions d’Espagne, jetées sur la route par la guerre. Son école, le groupe scolaire Ramon Llull, où elle a passé les années les plus heureuses de sa vie entre 1932 et 1936, tient une grande place dans son récit, la directrice, les  enseignants mais aussi les camarades et les amies dont il faut se séparer quand leurs familles se réfugient dans d’autres villages moins exposés de Catalogne ou prennent le chemin de l’exil.

Dans ce cahier de Mémoires, Encarnació témoigne d’une réflexion exprimée avec beaucoup de netteté, étonnante de maturité pour une fillette à mi-chemin entre l’enfance et l’adolescence. Au fil des récits, elle perd l’innocence de son regard en essayant de comprendre la cruauté de cette période douloureuse. Son récit s’arrête le 7 janvier 1939, à la mort de son ami Pepe.

C’est aussi un récit d’une grande richesse documentaire historique qui balaie tous les différents événements de cette page de l’histoire de l’Espagne, de la Catalogne, de l’Europe.

Ce journal reste caché durant 70 ans en haut d’un placard de l’appartement d’Encarnació dans le quartier de Horta, jusqu’à ce qu’il soit retrouvé et publié en 2011 par Salvador Domènech, docteur en pédagogie et auteur de “Cròniques durant la guerra civil. Revista tibidado de l’Escola Freinet de Barcelona” ( Dstoria Edicions, avril 2018).

L’entrée des troupes fascistes de Franco en 1939 met fin aux ambitions scolaires d’Encarnació, malgré ses aptitudes décelées par la directrice du groupe. Elle aurait pu en effet poursuivre des études et rentrer à l’Institut-Escola de la Généralité de Catalogne à Barcelone, pour préparer le baccalauréat.

Des études de sténographie et de dactylographie commencées pendant la guerre avec sa grand-mère lui ont permis d’entrer dans le monde du travail. Elle a pu ainsi mener de front une vie professionnelle et sa vie familiale, élevant seule son fils malade. À la retraite, elle a pu à nouveau satisfaire sa curiosité pour la littérature.

Marie Le Bihan