« Celia en la revolución » de Elena FORTÚN

« Celia en la revolución » de Elena FORTÚN, l’un des grands romans oubliés de la Guerre d’Espagne 1936-1939, vient de paraître aux Editions Renacimiento (Séville, février 2016), mais il n’est toujours pas traduit en français.

C’est un roman sur la Guerre d’Espagne 1936-1939, écrit peu après la fin de la guerre, en 1943, qui nous raconte à la fois la vie difficile et pleine de péripéties d’une adolescente, Celia, dans Madrid assiégé, entre la survie et la révolution, et la chronique autobiographique de l’auteure, Elena Fortún.

Le manuscrit-brouillon de « Celia en la revolución », écrit au crayon sur des feuilles de papier pâlies par le temps, est retrouvé par Marisol Dorao Orduña, docteure en Philologie Moderne à l’ Université de Cádiz dans les années 80 (née en 1930, décédée le 29 décembre 2017). Il était aux mains de l’unique survivante de la famille de l’auteure, sa belle-fille, très âgée, qui vivait aux U.S.A. C’est un livre que l’on croyait perdu, recherché en vain par les collectionneurs et ceux qui s’intéressaient aux récits de la Guerre d’Espagne 1936-1939.

Le roman de Elena Fortún est publié une 1ère fois, en 1987, par la « Editorial Aguilar », qui a édité les premiers fascicules de la collection « Celia » avant et après la guerre, et ce qui arrive ensuite à ce livre est très mystérieux, un cas unique. À peine publié, il disparaît des librairies, jusqu’à ce qu’il réapparaisse sur le marché d’occasion, à des prix fabuleux…

Dans le prologue, Andrés Trapiello nous donne un éclairage sur l’importance de la réédition de ce  livre en février 2016 : « Celia en la revolución » est  en effet publié par la « Editorial Renacimiento », de Abelardo Linares, la maison d’édition qui a publié d’autres ouvrages importants de la Guerre d’Espagne 1936-1939 comme « A sangre y fuego » de Chaves Nogales, « La revolución española vista por una republicana » de Clara Campoamor et « España sufre » (los diarios de guerra) de Morla Lynch. Leur caractéristique commune est d’avoir été écrits pendant ou peu après la guerre sans distorsion ou idéalisation de ce qui a été vécu.

Qui est Elena Fortún ?

Encarnación Aragoneses de Urquijo, Encarna, est née à Madrid en 1886. Elle se marie à 20 ans avec Eusebio de Gorbea Lemmi, militaire de profession. Tous deux sont proches du parti « Izquierda Republicana ». Le 18 juillet 1936, jour du coup d’état des généraux, Eusebio intègre « el Ejército Popular », il sera essentiellement instructeur, à Barcelona, Albacete et Valencia (comme le père de Celia). Eusebio est aussi auteur et acteur de théâtre ; c’est d’ailleurs d’une des œuvres de son mari que Encarna prend le pseudonyme d’ Elena Fortún. Ils ont 2 enfants : le 2ème meurt à l’âge de 10 ans, en 1920 et selon Marisol Dorao, sa biographe, c’est une perte responsable de la rupture du couple.

À Madrid, Elena Fortún se joint aux femmes progressistes  de l’époque, dans les associations féministes comme « La Liga Femenina por la Paz » et surtout l’association la plus  connue,  « el Lyceum Club Femenino », dirigé par María de Maetzu ( pédagogue et humaniste, fondatrice et directrice de la Residencia de Señoritas entre 1915 et 1936 ), où elle fait la connaissance de María Rodrigo, Carmen Baroja et María Lejárraga.

Après la séparation du couple, l’émancipation commence par un travail rémunéré et Elena commence à multiplier les collaborations dans des journaux et revues. À partir de 1928, ses premiers récits de « Celia », Celia Gálvez de Montalbán, une petite fille  de la classe moyenne qui s’ interroge sur le monde des adultes, commencent à apparaître dans l’hebdomadaire « Gente Menuda ». La célébrité et l’aisance économique vont permettre à Elena de s’installer dans une maison de Chamartín de la Rosa (la maison de « Celia en la revolución »). Elle peut aussi faire des études de bibliothécaire à la Residencia de Señoritas à Madrid où elle suit les cours de littérature, en anglais et en français, en même temps qu’elle intervient dans les actions pédagogiques, sociales et féministes. Elle n’a jamais milité dans un parti politique mais a de profondes convictions républicaines.

En 1934, « Célia » est  un véritable phénomène social et devient un personnage emblématique de la littérature espagnole ; Elena Fortún connaît un succès retentissant, avec de nouveaux titres et une augmentation des tirages. Mais la Guerre d’Espagne éclate l’été 1936, Elena va la vivre en direct, à Segovia, Madrid, Albacete, Barcelona et Valencia : c’est ce qu’elle nous raconte à travers « Celia en la revolución ».

À la fin de la guerre, en mars 1939, Elena Fortún quitte l’Espagne  en embarquant sur un bateau à Valencia pour la France puis c’est l’exil à Buenos Aires et aux U.S.A.

C’est en juillet 1943, en exil qu’elle va écrire  « Celia en la revolución ». La dictature franquiste interdit son livre en 1944 en Espagne mais dès 1948, les autres livres de la série « Celia » reviennent dans les librairies car c’est le meilleur de la littérature de la jeunesse de cette époque.

En 1948, Elena revient vivre à Madrid,  qu’elle ne reconnaît plus. Elle part alors à Barcelona. Elle meurt en 1952 à Madrid. Les gens qui l’ont connue se souviennent d’une femme merveilleuse, agréable, délicate et sensible, avec un don particulier pour communiquer avec les enfants et écrire sur leur univers.

« Celia en la revolución » comporte 28 chapitres qui couvrent la période de juillet 1936 à mars 1939. Le personnage central est Celia, une adolescente de 15 ans, qui prend en charge ses 2 petites sœurs après la mort de leur mère ; son père appartient à l’armée républicaine et son cousin est membre de la Phalange.

I. Segovia

II. La huida

III. Madrid, 25 de julio

IV. El hospital militar de Caranbanchel

V. Los paseos en Madrid

VI. En albergue

VII. Chamartín de la Rosa

VIII. ¡ Evacuación !

IX. Noviembre 1936

X. Febrero 1937. Hambre y bombas

XI. La evacuación de Madrid

XII. Valencia. Septiembre 1937

XIII. Albacete

XIV. El caracol

XV. Noviembre 1937

XVI. Barcelona.Navidad

XVII. Enero 1938

XVIII. La guerra totalitaria

XIX. Marzo 1939

XX. La vuelta

XXI. Primavera en Madrid

XXII. ¡ Hambre !

XXIII. En mi casa no comemos, pero…

XXIV. Invierno. ¡ Papa !

XXV. ¡ Se ha perdido la guerra !

XXVI. Valencia

XXVII. Juan García

XXVIII. ¡ Adiós !

Au-delà de l’intérêt pour la chronique autobiographique d’ Elena Fortún, « Celia  en la revolución » est un livre  captivant, très vivant, avec beaucoup de fraîcheur et de poésie. C’est  un roman initiatique qui parle de l’innocence, des premiers émois amoureux.

C’est  aussi un témoignage précieux sur la vie quotidienne à Madrid pendant la guerre, sur la peur, la faim, la fuite, la trahison, la désillusion de l’enfance, mais aussi sur  l’exil, avec un focus sur le vécu des enfants. Est-ce vraiment de la littérature pour la jeunesse ? Sous son apparente ingénuité ce roman est d’abord de la littérature pour adultes. Elena Fortún nous livre ici sa version de la Guerre d’Espagne. On sent, tout au long de l’ouvrage, à travers l’évolution psychologique de l’adolescente (et de l’auteure), la maturité du regard porté sur la guerre et la révolution sociale qui donne matière à  une réflexion qui peut être dérangeante et déstabilisante  pour le lecteur, par la justesse et la sincérité des émotions.

 

 

Biblioteca Elena Fortún (Renacimiento) :

Mila y Piolín (1949)

Celia institutriz en América (1944)

 

 

 

 

Celia madrecita (1939)

Celia en la revolución (1987)

 

 

 

 

 

 

Photo du monolithe de pierre dédié à la Mémoire de Elena Fortún, œuvre du sculpteur José Planes, à l’initiative du Cercle des Beaux-Arts et financé par souscription populaire, inauguré le 17 juin 1957 dans le Parc de l’Ouest de Madrid:

Philippe et Marie Le Bihan

Février 2018