Février 1940, il y a 80 ans… des camps du Midi au pied du château… (I)

Les premiers travailleurs espagnols, membres des CTE, arrivent à Brest il y a exactement 80 ans !

Le contexte

La guerre d’Espagne, la violence de ses combats, les bombardements des villes, la répression exercée par les troupes franquistes dans les zones arrachées à la République provoquent l’arrivée de plusieurs vagues de réfugiés en France: à l’été 1936 lors de la prise de la région de San Sebastián, un an plus tard lors de la conquête totale de la côte atlantique par le camp franquiste, au printemps 1938 lors de la chute du haut-Aragon et enfin début 1939 à la chute de la Catalogne. L’Espagne républicaine franchit alors en masse la frontière franco-espagnole. C’est « La Retirada ».

 

 

En ce mois de Février 1939, un demi million d’Espagnols franchit la frontière pyrénéenne,  c’est l’exode le plus considérable, par son ampleur et sa soudaineté, jamais survenu en France. Femmes, enfants, vieillards et invalides sont autorisés à entrer en France dès le 28 janvier. Par la suite et, tout comme en 1937, ils sont dirigés vers les départements français éloignés des Pyrénées, désignés pour les accueillir.

Les combattants, qui ne sont autorisés à entrer en France qu’à partir du 5 février, sont désarmés à la frontière et conduits dans des camps aménagés à la hâte près de celle-ci. 275 000 hommes environ sont internés dans ces camps de « concentration » comme les dénomment alors les documents administratifs: Argelès-sur-Mer, SaintCyprien d’abord, puis Le Barcarès, Bram (Aude), Agde (Hérault), Septfonds (Tarn-et-Garonne), Vernet (Ariège) puis Gurs (Basses-Pyrénées)… (1)

Camp d’Argelès-sur-Mer (coll.Robert Capa)

Le gouvernement français qui s’est trouvé contraint à l’accueil de ces populations en exil s’emploie par tous les moyens à s’en débarrasser: les réfugiés sont incités à retourner en Espagne, à partir vers des pays sud-américains susceptibles de vouloir les accueillir (notamment le Mexique: le 22 août 1940, le gouvernement du Mexique signe un accord avec le gouvernement français en vue d’autoriser cette immigration) ou les hommes sont invités à s’engager dans la Légion étrangère.

Antonio ALCÁZAR MIÑARRO, demande d’immigration vers le Mexique, 22 novembre 1940 (coll. privée A. Schwartz)

De l’utilité des Espagnols dans l’économie nationale

Trois mois après leur entrée en France, entre rapatriements, réémigrations, plus de la moitié ont quitté le sol français, la plupart sont des femmes et des enfants. Il reste plus que 170 000 exilés dans les camps du sud de la France (1), une situation que le gouvernement peine à supporter: la situation qui devait être temporaire se prolonge.

La perspective de la guerre contre une Allemagne de plus en plus menaçante modifie l’attitude du gouvernement face à ces « indésirables ». Les camps deviennent alors les viviers d’une main-d’œuvre abondante. Dès le printemps 1939, des exploitants agricoles, des chefs d’entreprises viennent y embaucher des travailleurs. Les ouvriers spécialisés, qui intéressent l’industrie de guerre et l’aéronautique, sont spécialement appréciés.

Dès le 12 avril 1939, un Décret-loi prescrit que “les étrangers sans nationalité ou bénéficiaires du droit d’asile, âgés de 20 ans à 48 ans, sont tenus de fournir, dès le temps de paix, aux autorités militaires françaises, pour une durée égale à la durée du service imposé aux Français, des prestations”. À ce titre, ils peuvent faire l’objet de « réquisitions individuelles ou collectives, générales ou locales, fondées sur la nationalité, sur l’âge ou sur la profession ». Les premières Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE) sont ainsi constituées dans les camps du Midi. (liste CTE/GTE  Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse: https://www.legislation.cnav.fr/Pages/texte.aspx?Nom=CR_CN_1880_07021980)

Décret-loi du 12 avril 1939: mise en place des CTE (Journal Officiel du 16 avril 1939)

Ces compagnies, composées pour chacune d’entre-elles de 250 hommes, commandées par des officiers français à qui est adjoint un officier espagnol pour transmettre les ordres sont dispersées sur tout le territoire : du Nord de la France métropolitaine à l’Afrique du Nord. L’accent est mis sur les travaux publics de grande envergure, des travaux forestiers aux grands chantiers intéressant la Défense nationale, dont la fortification des lignes de défense françaises dans le nord et l’est, la ligne Maginot et la frontière italienne, surtout à partir d’avril 1940.

Membres de la 64e Compagnie de Travailleurs Étrangers (coll. privée F. MIRÓ)

Avec l’entrée en guerre et la mobilisation générale, la formation des compagnies s’intensifie. Il faut répondre au besoin de main-d’œuvre et vider les camps au plus vite. Toutes les régions militaires sont concernées, les CTE sont mises à la disposition de l’armée, mais aussi de l’agriculture, des usines d’armement, des Eaux et Forêts, de la SNCF, …

Des membres d’une Compagnie de Travailleurs Étrangers lors de travaux forestiers (coll. privée EXPOSITO)

Les recrutements initialement basés sur le volontariat deviennent imposés, malgré tout quelques exceptions subsistent parmi les internés, quelques-uns bénéficient d’un statut particulier et vont sortir des camps grâce à l’obtention d’un contrat de travail dans l’agriculture ou dans l’industrie. Ils sont alors recrutés en tant que prestataires de service (et non travailleurs libres), logés et nourris par les mairies ou les employeurs, rémunérés par une allocation quotidienne de 5 à 10 francs (1).

Eduardo CARO BERMUDO, Récépissé de demande de Carte d’identité de “Travailleur industriel”, 1940 (coll.privée CARO)
Eduardo CARO BERMUDO, attestation de travail de la “Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Midi”, Toulouse, 9 décembre 1939 (coll. privée CARO)

Ainsi, entre février 1939 et mai 1940, deux politiques cohabitent : le regroupement des hommes sous un contrôle militaire avec les CTE, et le statut de prestataires de service, avec contrat de travail.

Parallèlement à cette utilisation de main-d’œuvre dans l’économie de « Défense nationale », entre fin septembre 1939 et mai 1940, l’État-major de l’Armée consent à la création de nouvelles unités, unités d’appoint de l’Armée française, les Régiments de Marche de Volontaires Étrangers (les RMVE). Ils sont de l’ordre de trois : 21e, 22e et 23e RMVE (1). Ces unités regroupées au Barcarès sont déployées essentiellement près de la ligne Maginot, en pleine ligne de feu. Au moment de la débâcle la plupart d’entre eux sont faits prisonniers et ne sont pas considérés comme « prisonniers de guerre », mais comme « prisonniers politiques ». La nuance sera terrible de conséquences…ils seront déportés au camp de Mauthausen.

Fin avril 1940, les camps du sud de la France sont peu à peu vidés :

– 3000 espagnols considérés comme inaptes ou dangereux sont maintenus dans les camps (1)

– 6000 sont engagés dans la Légion ou dans les RMVE (1)

– 40 000 sont placés par Le ministère du Travail dans l’agriculture ou l’industrie bénéficiant d’une embauche individuelle (1)

– 55000 sont organisés en CTE, dont plus de la moitié est mise à disposition d’employeurs divers engagés dans les programmes de travaux de Défense nationale (1)

C’est dans ce cadre, qu’arrivent en janvier-février 1940 à Brest, les premiers groupes de travailleurs espagnols issus des camps du sud de la France.

(1) Marie-Claude RAFANEAU-BOJ, « Odysée pour la liberté. Les camps de prisonniers espagnols 1939-1945 », Paris, Denoël, 1993