« Rotspanier », de la Retirada aux Iles Anglo-normandes. Deux témoignages inédits

Il y a quelques semaines, notre ami Peter Gaida m’a transmit des documents très intéressants : il s’agit de la transcription de deux témoignages d’Espagnols, combattants dans le camp républicain, passés par les camps du Sud de la France, par Brest (camps de Sainte-Anne du Portzic et du Fort Montbarey) et qui par la suite, à partir du début 1942 se retrouvent dans les camps des îles Anglo-normandes : Aurigny, Alderney… Ces témoignages font partie des témoignages recueillis  lors de travaux de recherche portant sur l’indemnisation des Espagnols travailleurs forcés pour le IIIe Reich lors de l’Occupation. Dans le cas présent, Les témoins, BLASQUEZ et LUCAS GARCÍA nous renseignent sur la vie dans les camps de Ste Anne, St Pierre, les conditions de travail, la dureté de l’encadrement nazi…

La traduction des deux témoignages :

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Premier témoin : Blasquez

Sur le fond :

“J’ai participé à la guerre civile espagnole du côté républicain. Le 13 février 1939, j’ai franchi la frontière française. J’étais sergent-major dans l’armée républicaine. Avant la guerre civile espagnole, j’étais secrétaire de l’Organisation de la jeunesse socialiste espagnole.

La Retirada

Je suis arrivé en France dans un camp de Barcarès. Je suis resté au Barcarès de mars à décembre 1939. Ensuite, j’ai été affecté à la 43e Compagnie de travailleurs étrangers espagnols. Toute cette compagnie est arrivée dans le département de l’Aube. Là-bas, nous n’étions pas logés dans un camp, mais totalement libres. Nous étions certes sous la surveillance de la France, mais nous étions libres de choisir notre poste de travail en fonction de nos capacités. Chaque soir, nous, c’est-à-dire toute la compagnie, devions nous rassembler pour un appel. C’était dans un petit village du département.

Arrivée au Barcarès

Mon travail consistait en partie à couper du bois dans la forêt, et en partie à camoufler des dépôts de munitions ou d’autres objets.

Le front se rapprochait et on entendait déjà le tonnerre de l’artillerie. Le commandant nous a rassemblés et nous a expliqué : « Vous êtes des réfugiés politiques espagnols, je ne peux pas prendre de responsabilité pour vous, faites ce que vous voulez ».

J’ai ensuite erré pendant 43 jours avec un petit groupe de camarades, plein de peur. Nous avons pris la direction du sud en pensant arriver éventuellement à Argelès. Nous avons fini par arriver à Argelès et j’avais aussi usé trois paires de bottes pendant mon errance.

C’est là que le groupe 143 a été créé, et nous sommes restés environ deux mois à Argelès. Tout ce groupe est ensuite venu à Elne, dans le département des Pyrénées-Orientales. Nous y habitions et mangions aussi chez les paysans qui nous employaient, et nous devions nous présenter à la compagnie une fois par mois. J’y suis resté jusqu’au 28 juillet 1941.

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L’après-midi du 28 juillet 1941, juste après le déjeuner, deux civils français sont arrivés avec deux gendarmes.

Ces Français nous ont dit qu’ils avaient été contraints par les autorités allemandes de nous faire réintégrer le groupe. Nous avons alors été ramenés au groupe. D’habitude, le groupe n’était pas surveillé là où il se réunissait, mais ce jour-là, tout le groupe était encerclé par des soldats pour que personne ne puisse sortir.

Je rectifie le procès-verbal ci-dessus en ce sens que les deux civils mentionnés, qui sont entrés dans la cour avec les gendarmes, étaient des civils allemands.

Ils parlaient entre eux et nous ne comprenions pas la langue. Quand tout le groupe a été réuni, il y avait encore plus d’Allemands.

Nous devions alors rester ensemble sous surveillance pendant un ou deux jours, jusqu’à ce que tout le groupe soit réuni. Ensuite, nous avons été conduits, sous la surveillance de gendarmes français, à la gare située à l’extérieur du village. Nous avons ensuite été chargés dans des wagons à bestiaux, et dans chaque wagon, ils en ont mis autant qu’ils pouvaient. Il y avait là des civils allemands qui poussaient à la précipitation, nous l’avons compris à leurs mouvements.

Après un voyage d’un jour et d’une nuit, nous sommes arrivés dans un endroit que nous ne connaissions pas ; et là, nous avons vu qu’il n’y avait que des Allemands, et qu’ils portaient l’uniforme vert allemand. On nous a donné de l’eau à boire et on nous a tout de suite enfermés. Nous n’avons rien eu à manger pendant le trajet. Quand nous sommes partis d’Elne, les Français nous avaient donné des provisions pour un jour. Mais ensuite, nous n’avons plus rien eu à manger de tout le voyage, qui a duré en tout trois jours et deux nuits. Nous sommes finalement arrivés à la gare de Brest.

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A l’arrivée, la police allemande se tenait des deux côtés du train et nous avons été poussés dehors ; certains étaient malades et nous étions tous très raides d’être restés debout si longtemps et nous ne pouvions pas bouger si vite. Ensuite, nous avons tout de suite été poussés à coups de nerfs de bœufs ou de matraques.

Nous devions ensuite nous rendre à pied au Fort de Montbarey, où nous sommes restés jusqu’en 1942. De la gare de Brest, nous avons dû marcher environ 2 h 30 jusqu’à Montbarey et là, nous avons encore dû faire le piquet pendant une heure avant qu’on nous dise qu’on allait nous donner à manger. Nous avons alors reçu une tranche de pain et une soupe de choux et de carottes.

Lorsque nous devions nous mettre au garde-à-vous avant le repas, si quelqu’un ne se tenait pas tout à fait droit ou avait gardé sa casquette, il recevait immédiatement des coups, la casquette était arrachée et la personne recevait un coup sur la tête.

Après le repas, nous avons été conduits dans des baraques situées à l’arrière du Fort, dans lesquelles se trouvaient trois lits superposés. C’était des cadres en bois sans paille. Il n’y avait pas de couvertures. Nous avions encore chacun une couverture des Français, mais nous n’avons pas reçu d’autres couvertures. Certains d’entre nous n’avaient pas de couverture du tout. Nous sommes restés dans ce fort jusqu’en février 1942. Nous n’entrions dans la baraque qu’à 1 h 30 du matin, mais on nous en sortait déjà entre 4 h et 4 h 30 plus tard. Bien sûr, nous ne comprenions pas le commandement « Debout » et les gardes sont arrivés et nous ont frappés au hasard avec des matraques. Nous n’avons même pas eu le temps de nous habiller.

Pendant une heure et demie, nous avons dû nous mettre au garde-à-vous et compter, puis nous avons eu droit à un café, mais sans lait ni sucre.

Ensuite, nous avons dû nous regrouper, faire le compte, et nous sommes partis à pied sur 7 à 8 km jusqu’à la base de sous-marins.

Fin Page 3 et page 4

Dans le Fort lui-même, les gardes avaient des uniformes kakis avec une croix gammée sur le bras ; les gardes qui nous ont conduits au Fort avaient aussi des uniformes kakis.

Dans le Fort lui-même, les gardes avaient des uniformes kaki avec une croix gammée sur le bras ; les gardes qui nous ont conduits au fort et au lieu de travail étaient également bien habillés, alors que les gens sur le lieu de travail étaient moins bien habillés.

Les équipes de surveillance du camp et les équipes d’accompagnement étaient très brutales et vicieuses, tandis que les Allemands n’étaient pas aussi sévères sur le lieu de travail, même si parfois – parce que nous étions faibles et que nous ne pouvions pas travailler aussi bien – il y a des coups de poing.

Il y avait environ 20 à 30 baraques dans le Fort, et d’un côté, il y avait des baraques où nous, les Espagnols, étions logés ; de l’autre côté, séparés de nous par un petit fil barbelé que nous pouvions aussi franchir, il y avait des Juifs.

Chaque groupe, c’est-à-dire nous les Espagnols d’une part et les Juifs d’autre part, était amené au travail séparément. Sur le lieu de travail, nous avons cependant vu des Juifs porter des sacs de ciment, par exemple.

J’estime le nombre d’Espagnols entre 400 et 500, le nombre de Juifs entre 150 et 200.

Outre les Espagnols et les Juifs, des Belges, des Hollandais et quelques Français étaient également employés sur le lieu de travail. Mais ils ne sont arrivés que plus tard, quand nous étions déjà sur place. Les Belges, les Hollandais et les Français étaient mieux lotis que nous. Ils venaient au camp en omnibus, avec du pain, du beurre et des pots de café, et le soir, quand on nous ramenait, ils nous donnaient parfois un peu de leurs affaires, du pain, etc. Il n’y avait pas de médecin ni d’infirmerie dans le camp et même les malades étaient poussés à travailler.

Je n’ai jamais reçu de salaire pour mes travaux, ni d’argent de poche. Je ne sais pas non plus pour quelle entreprise ou quelles entreprises j’ai travaillé là-bas. Nous n’avions jamais de sortie, même pas le dimanche.

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Nous devions aussi travailler le dimanche, toujours trois dimanches, et le quatrième était chômé. Le samedi, nous recevions déjà le ticket de repas pour le dimanche et nous nous étions d’abord réjouis de pouvoir faire la grasse matinée le dimanche. Mais le dimanche à 7 h, les gardes arrivaient déjà et nous étions chassés, devions nous mettre au garde-à-vous, recevions des coups et c’était pire que les jours de travail, si bien que nous ne pouvions plus nous réjouir des dimanches libres. Nous ne pouvions pas nous réjouir des jours de congé.

Nous n’avions aucune autorisation de sortie du camp.

Les dimanches de congé, nous devions à nouveau nous mettre au garde-à-vous, compter, puis ramper à plat sur le sol, qui était très humide et boueux en raison du climat pluvieux. Si l’un d’entre nous essayait de ne pas avancer à plat ventre, mais de se relever un peu, il recevait aussitôt des coups de pied et des coups de poing. Ensuite, nous devions soulever une planche à plusieurs, et lorsque nous étions fatigués et que la planche s’abaissait lentement sur nos têtes, nous recevions à nouveau des coups de pied et des coups de bâton ou de matraque, mais aussi des coups de poing.

C’est ainsi que les baraquements étaient passés en revue, baraquement par baraquement.

Dans une baraque particulière, il y avait un rouleau de la taille d’un homme avec un banc devant. On pouvait faire tourner le rouleau. Les autres Espagnols devaient alors faire tourner le rouleau à l’aide d’une manivelle et si la personne perdait l’équilibre et tombait sur la tête à cause de la rotation du rouleau, les gardes riaient.

Nous n’avions pas de savon ni de serviettes dans le camp et si nous avions le temps de faire notre lessive, nous devions la faire à l’eau claire.

Ensuite, on nous a conduits à la baraque pour prendre de la nourriture. Il y avait une soupe à l’eau très fine. Le premier n’avait presque que de l’eau, ceux qui arrivaient plus tard avaient peut-être de l’eau un peu plus riche, puisée dans les profondeurs, et le dernier n’avait plus rien du tout, parce qu’il n’y avait plus rien.

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Les gardes nous ont traités de bolcheviks espagnols qui ne valaient pas mieux que les Juifs.

Si des personnes étaient blessées à la suite des mésaventures mentionnées, on n’en tenait pas compte et il n’y avait pas non plus de traitement médical.

Pour le reste du dimanche soi-disant libre, on nous laissaient tranquilles, tellement nous étions épuisés.

La veille de Noël, on nous a dit sur le chantier que nous n’aurions pas besoin de travailler le lendemain et que nous aurions bien à manger. Le jour de Noël, alors que nous étions allés chercher notre repas et notre morceau de pain, un gardien se tenait à l’endroit où nous sortions de la baraque, avec un gros paquet de cigarettes à côté de lui. Il offrait alors trois cigarettes à chacun de ceux qui sortaient de la baraque, et lorsque l’intéressé les avait prises, il recevait immédiatement un coup, si bien que la nourriture, les cigarettes et aussi le pain tombaient par terre, et il était poursuivi à coups de pied et de poing, si bien qu’en fait on ne recevait plus du tout de nourriture, car nous n’avions pas le droit de ramasser la nourriture tombée par terre.

Il y avait bien sûr une longue file d’attente et ceux qui avaient vu ce qui arrivait à ceux qui les précédaient étaient assez prudents de ne pas prendre les cigarettes. Ceux qui venaient de l’arrière, qui n’avaient pas vu l’incident mentionné et qui prenaient les cigarettes offertes, se retrouvaient dans la situation que j’ai décrite plus haut. En fait, les cigarettes étaient manifestement destinées à nous, les travailleurs étrangers, et les gardes les ont prises pour eux.

Il n’y a pas eu de personne de confiance ni de personnalité, ni au travail ni au domicile, auprès de laquelle on aurait pu se plaindre du traitement ou même obtenir le nom des personnes qui nous ont maltraités.

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Il a été question de la déclaration du témoin Dorsch (p. 555 du rapport Posse ./. BRW), dans laquelle le témoin Dorsch est d’avis que les Espagnols avaient une sorte d’autogestion dans la situation et qu’ils tenaient leur propre cuisine.

Le témoin poursuit : « Aucun de nous, Espagnols, ne travaillait à la cuisine. C’étaient exclusivement les équipes de garde qui s’occupaient de la nourriture et qui la distribuaient. Nous n’avions aucune influence.

Comme tenue de travail, nous avons reçu une sorte de combinaison sur la manche de laquelle étaient apposées les lettres RE, dont je ne connais pas la signification d’office. Nous avons compris qu’il s’agissait de « Rouge espagnol ». Cela a donc duré jusqu’en février 1942.

En février 1942, un grand nombre d’entre nous, tous ou presque, furent emmenés à Montbarey. Nous avons marché jusqu’à la gare de Brest et avons été rechargés dans des camions à bestiaux. Le train était alors divisé en deux parties et la partie dans laquelle je voyageais arrivait à Cherbourg. À Cherbourg, à gauche de la gare, se trouvait une immense caserne entourée d’une clôture de barbelés de 3 m de haut et gardée par des hommes en uniforme vert. Nous y sommes restés deux jours, pendant lesquels nous sommes restés seuls mais avec à peu près la même nourriture qu’à Montbarey.

Au bout de deux jours, trois personnes en uniforme kaki et deux ou trois hommes en uniforme vert sont venus et nous ont emmenés dans la cour, qui était bien sûr également entourée de barbelés.

Il était 7 h du matin quand nous avons été parqués, et puis ça a commencé comme avant : il a fallu ramper à travers la cour et se soulever, puis il a fallu marcher. Cela a duré jusqu’à l’heure du déjeuner et après le dîner, nous sommes restés seuls. Cela a duré 14 à 20 jours. Un soir, nous avons dû marcher jusqu’au port et sommes arrivés dans une grande zone au coucher du soleil. Les navires portaient la désignation « R 8 ».

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Nous sommes arrivés à Aurigny tôt le matin. À Aurigny, nous sommes arrivés à un camp appelé n°2. Je ne pense pas qu’il doit avoir un autre nom.

Nous sommes arrivés dans des casernes vides du camp, juste nous, les Espagnols. Les Juifs de Montbarrey ne sont pas venus ici avec nous. Et puis il y a quelques bières blondes fabriquées dans des casernes avec des Polonais et des Russes. Vous pouvez retrouver toutes ces pages sur d’autres sites. Entre les deux, il n’y a qu’un fil de fer barbelé inférieur. Les Russes étaient prisonniers de guerre. Ces articles sont tous identiques à vos vêtements de tous les jours. Les personnes âgées sont également déportées. Il y avait des Russes et des Polonais très jeunes et aussi très vieux.

Je ne pouvais pas voir tout le camp depuis ma partie du camp, encore moins voir les autres camps. Nous n’étions pas non plus autorisés à entrer dans d’autres parties de notre camp. Ex Nous n’avons jamais pu sortir du camp.

Il est vrai qu’en France, j’ai toujours travaillé en secret pour l’Organisation de jeunesse socialiste espagnole et j’ai été politiquement actif. Bien entendu, les Allemands possédaient sur moi les dossiers du personnel français, qui mentionnaient également mes activités politiques antérieures en Espagne. Mon activité illégale en France ne pouvait pas être enregistrée dans ce dossier, mais j’avais l’impression que les Allemands ne l’avaient pas manqué ; même si je soupçonne que les Français ont peut-être inclus un commentaire sur mon activité illégale. Les Allemands devaient au moins soupçonner que j’avais été politiquement actif illégalement en France.

L’ensemble de mon groupe n° 143 était composé de personnes politiquement actives.

Nous devions charger et décharger du ciment – le charger ou le transporter du bateau au camion. Le port fut agrandi. C’était toujours des travaux de fortification.

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À Alderney, nous avons été traités de la même manière qu’à Montbarrey, mais j’ai aussi été témoin de véritables crimes ici.

Lorsque nous avons été récupérés au travail le matin, nous avons d’abord été conduits dans un endroit couvert d’une neige épaisse. Jusqu’à l’arrivée de nos contremaîtres, nous devions ramper à genoux et sur les coudes dans cet endroit rempli de graviers pointus.

Un matin, alors que nous devions à nouveau ramper, un éclat de gravier s’était logé dans ma jambe et je me levai pour le sortir en retroussant un peu mon pantalon. À ce moment-là, un des patrons, qui n’avait habituellement avec lui qu’un revolver et un fouet, mais qui, ce jour-là, avait avec lui un fusil qu’il avait pris à quelqu’un d’autre, est venu et m’a frappé à la tête comme ça plusieurs fois. il y a plusieurs fois que je suis tombé. Sur quoi il m’a donné un coup de pied à la tête. À ce moment-là, quelqu’un d’autre l’a appelé et j’ai compris quelque chose comme : « Mêmes, viens ici. » Puis il m’a lâché et s’est éloigné, sinon j’aurais probablement été tué. J’ai encore des cicatrices sur la tête et le cou à cause de cet incident. Je n’avais rien d’autre à voir avec cet homme, mais j’ai entendu parfois son nom être scandé dans le camp.

Après la guerre, j’ai lu un jour un nom à consonance similaire dans le journal lors d’un procès, mais je ne peux pas dire si c’était encore exactement ce nom. Je n’avais jamais vu le nom écrit.

Il nous arrivait parfois de cueillir de l’herbe et des herbes aromatiques en revenant du travail et de les emporter chez nous, puis de les faire cuire dans un tunnel dans le camp pour satisfaire notre faim. Une nuit, nous étions de retour dans le tunnel, deux d’un côté et deux de l’autre, en train de cuisiner les herbes lorsque nous entendîmes l’appel « des Allemands ». Moi et le camarade de mon côté avons couru rapidement vers notre caserne et nous y étions toujours lorsque nous avons entendu ce que nous pensions être des coups de semonce tirés par des revolvers à l’extérieur. Quand tout était redevenu calme, j’en avais envie. À Alderney, nous avons été traités de la même manière qu’à Montbarey, mais j’ai aussi vu de vrais crimes ici.

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Je suis retourné à la galerie pour chercher nos légumes et j’ai vu que les deux autres camarades étaient par terre, une balle dans la tête. L’un d’eux tenait encore sa boîte de conserve de soupe à la main.

Dans le camp, il y avait une douche ouverte. Nous devions nous déshabiller dans une baraque et nous rendre à la douche. Après la douche, les gardiens nous faisaient traverser la cour à coups de poing et de pied.

Il n’y avait pas de médecin dans le camp, pas de soins si quelqu’un était si malade qu’il ne pouvait pas se lever, on ne le retrouvait pas dans le camp le soir en rentrant du travail.

En juillet 1942, nous avons tous été transférés d’Aurigny à Guernesey, où nous avons été aussi mal traités qu’à Aurigny.

A Guernesey aussi, nous avons été placés dans un camp entouré de barbelés, composé d’environ 15 à 20 baraques, dont nous ne sortions jamais, sauf pour aller travailler. Le camp portait un nom particulier commençant par un “S”, mais il n’y avait qu’une seule sortie surveillée, dont nous ne sortions jamais, même lorsque nous étions conduits au travail sous surveillance.

Le camp se trouvait au centre de l’île et non au port. Depuis le port, une belle route de campagne passait devant le camp.

Nous avons construit des galeries souterraines dans le camp.

Un jour, un de mes camarades – nous étions en train de sortir des wagonnets de la galerie – s’est fait dérailler par un de ces wagonnets. Un machiniste allemand qui devait conduire le wagonnet l’a frappé à plusieurs reprises sur la tête avec une lourde clé à molette, si bien que le sommet du crâne s’est effondré.

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(.. a été fracassé) et la personne est morte.

Je travaillais dans un monte-charge. Un jour, alors que je travaillais en haut, il s’est avéré que le monte-charge n’arrivait pas jusqu’en haut parce que le mécanisme était bloqué d’une manière ou d’une autre. Je n’avais pas la force de soulever et d’extraire la charge. Un Allemand d’en bas a crié, mais je n’ai pas compris et j’ai crié en français, « je ne peux pas ». Il m’a donné un coup de poing à la tête et m’a poussé vers le bas, ce qui m’a fait tomber de 4 à 5 mètres.

J’ai été blessée à la tête et aux jambes. Au moment de la chute, je me suis évanoui et je ne me souviens plus de ce qui s’est passé.

Je me suis réveillé dans une baraque sur la paille, où se trouvaient deux autres blessés, qui m’ont dit que deux camarades m’avaient amené. Les camarades ont coupé un morceau de ma chemise et ont pansé ma blessure à la tête, ainsi que la blessure à la jambe avec un morceau de chemise. Cela s’est passé vers novembre 1943.

J’ai ensuite été amené au port, mais je n’ai jamais vraiment repris conscience. Je me suis finalement retrouvé à l’hôpital de Casteljaloux. Je ne sais pas qui m’y a emmené. Des camarades m’ont dit que j’avais dormi longtemps.

Ici, Me Backes a remis les photocopies des certificats médicaux mentionnés dans le procès-verbal principal.

Des Allemands venaient à l’hôpital tous les huit à 15 jours pour emmener les patients qui semblaient être suffisamment guéris. Je suis ensuite arrivé en mars 1944 dans une sorte de camp de transit à Saint-Malo. Je n’avais alors pas encore retrouvé toute ma lucidité et mon esprit.

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J’y suis resté jusqu’à la libération en août 1944.

On avait toujours entendu dire que nous devions quitter Saint-Malo pour Lille ou l’Allemagne, mais cela ne s’est jamais produit. Ce camp était également surveillé et je n’avais pas de permission de sortie.

Dans ma baraque là-bas, il n’y avait que des Espagnols. Je ne sais pas qui était dans les autres baraques. Je n’ai fait qu’y dormir pendant tout ce temps.

D’un commun accord, la traduction de Mme. Plaumann et la dictée du procès-verbal ont été approuvées.”

Deuxième témoin : García Lucas

“Sur le fond : en février 1939, je suis parti en France avec mon bataillon de l’armée républicaine.

J’ai été envoyé au camp d’Argelès. De là, j’ai rejoint Guers, où je suis resté jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’armée républicaine, j’étais sous-lieutenant. J’avais également été secrétaire du mouvement de la jeunesse socialiste.

Lorsque la guerre a éclaté, j’ai été affecté à la 150e Compagnie de travailleurs étrangers, qui se trouvait dans la région de Bordeaux. Je m’occupéais de travaux pour l’armée française. Quand les Allemands sont arrivés, j’ai été affecté à une autre unité de travailleurs, près du Mont Pay de Dôme. Là-bas, nous avons travaillé six à sept mois dans les mines. Ensuite, nous avons coupé du bois pour ces mines. La mine portait le numéro 521.

En été 1941, des gendarmes français ont emmené 25 membres de mon groupe, dont moi, à Roanne. Les autres avaient réussi à se cacher. Je suppose en tout cas que tout le groupe devait être emmené à Roanne.

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A Roanne, nous sommes entrés dans un camp et avons dû décliner nos identités devant une table, auprès d’un civil allemand et d’un interprète. On ne m’a pas demandé ce que j’avais fait en Espagne, ni mon grade.

Je n’ai eu à dire quelque chose à ce sujet que lors de mon admission dans un camp d’accueil français. Le lendemain, nous avons été conduits en train jusqu’à la ligne de démarcation. Je ne me souviens pas du nom de l’endroit où nous avons atteint la ligne de démarcation. Mais tous mes camarades – j’en estime 35 par wagons à marchandises ont dû quitter le train. C’est là que j’ai fait pour la première fois connaissance avec les Allemands qui surveillaient la sortie du train. Ils criaient quelque chose en allemand, que nous ne pouvions évidemment pas comprendre, et lorsque nous avons dit quelque chose en espagnol, j’ai reçu un coup de poing au visage. C’est ce qui m’est arrivé. Nous avons dû nous déshabiller complètement avant de monter dans le train et avons été soumis à une fouille corporelle. Bien sûr, les Allemands n’ont pas trouvé grand-chose. Certains camarades se sont vu retirer leur couteau. Ensuite, nous avons dû nous rhabiller et monter dans le train. Les portes étaient à nouveau fermées et ne se sont ouvertes qu’à Lorient. Là, nous sommes restés un jour dans un camp clôturé. Nous avons ensuite été transportés en camion jusqu’à Brest, où nous sommes arrivés au camp de Sainte-Anne. Le camp était composé de baraques près d’un vieux château sur la côte, à côté de la batterie côtière. Je ne sais pas combien de baraques il y avait. J’étais dans la baraque numéro 25. Tout le camp était clôturé par des fils barbelés.

Les Juifs qui étaient logés dans ce camp, en plus des Espagnols, n’étaient pas séparés par des barbelés spéciaux. Nous avons également travaillé avec eux à la base sous-marine de Brest.

Nous devions nous rendre à pied sur notre lieu de travail, ce qui nous prenait entre une heure et une heure et demie à l’aller et au retour. Nous travaillions aussi sur le chantier sans être séparés des ouvriers juifs. Je ne peux pas dire grand-chose sur l’appartenance ethnique des Juifs ;

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certains parlaient français, d’autres espagnol.

Après environ deux mois, nous avons tous été transférés de Saint-Anne à Saint-Pierre. Je pense que Saint-Pierre était un peu plus petit que Saint-Anne, car les détenus juifs du camp de Saint-Anne n’ont pas été emmenés à Saint-Pierre.

Le camp était également clôturé par du fil barbelé. Le chemin vers la base sous-marine était encore un peu plus long. Les baraques étaient installées dans les fossés de Saint-Pierre, ce qui explique sans doute l’humidité des baraques. J’ai continué à travailler à la base sous-marine, notamment pour la société Berkhan [sans doute l’entreprise Bergtcamp, principale entreprise en charge de la construction de la base sous-marine]. Je n’ai pas reçu de salaire pour mon travail, ni d’argent de poche. La durée du travail était de 12 heures. Les employés allemands de l’entreprise changeaient souvent d’équipe. On ne travaillait pas le dimanche. Nous alternions toujours les équipes de jour et de nuit chaque semaine. Nous travaillions cependant les jours fériés.

Nous n’avons jamais eu la permission de quitter le camp, à moins d’être conduits au travail. Nous ne sommes jamais allés seuls sur le chantier ni rentrés au camp. Je n’ai pas non plus vu de travailleur espagnol libre sur le chantier.

Le personnel spécialisé était composé d’Allemands, de Néerlandais et de Belges, les chauffeurs étaient Français.

Dès le deuxième jour de mon séjour à Sainte-Anne, j’ai reçu un deuxième coup de poing alors que je traversais le camp, les mains dans les poches de mon pantalon. Un Allemand en uniforme, que je n’ai plus revu par la suite, m’a arraché les mains de mes poches, déchirant ainsi mon pantalon. Lorsque je suis arrivé dans ma baraque, un codétenu juif m’a dit que c’était une bonne chose que je me sois tu. Je me suis dit qu’avec les Allemands, il valait mieux se taire.

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Le réveil était à 4 h. Un jour, comme je n’étais pas habillé assez vite, j’ai reçu des coups de fouet d’un garde allemand. D’autres coups étaient donnés si quelqu’un se trompait dans le comptage (matin et soir), et ce en allemand.

Un dimanche, l’adjudant du commandant du camp a donné des coups de poing et des coups de pied à un camarade de ma baraque, à tel point qu’il est resté couché et il en est mort. L’homme était mort quand la grande brute blonde, dont j’ignore le nom, l’a ramassé. Le lendemain, il a ensuite pris un groupe qui a dû enterrer le mort au cimetière de Saint-Pierre.

L’incident n’a eu aucune conséquence. Il n’y a pas eu d’enquête. Nous n’avons pas non plus eu la possibilité de nous plaindre. Il n’y avait pas d’homme de confiance ou d’interprète pour le faire.

Ni moi ni mes camarades n’avons pu trouver la moindre explication au comportement de l’adjudant de camp. Il faisait partie de ceux qui frappaient en toute occasion. Ce n’était pas le seul.

Il est également arrivé que des gardes en uniforme enlèvent des Espagnols du chantier sans raison apparente et les emmènent dans une maison blanche sur une colline qui, comme nous l’avaient appris les Juifs, était un poste de SS. Nous n’avons plus jamais entendu parler de ces hommes. On ne pouvait pas non plus savoir pourquoi ils avaient été emmenés.

Les camarades maltraités restaient en principe à terre jusqu’à ce que d’autres Espagnols puissent s’occuper d’eux après le travail.

À l’hiver 1942, je suis arrivé à Guernesey, une partie d’entre nous est aussi allée à Aurigny.

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Je suis arrivé au camp n° 3 sur Guernesey, le camp n°4 était sur une baie, c’était le Cobo.

C’était un autre camp non clôturé par des barbelés. Dans ce camp, qui comptait probablement 28 casernes, il n’y avait que des Russes, à part nous, Espagnols. Certains Russes portaient des uniformes militaires, d’autres des vêtements civils.

Les Russes n’étaient pas particulièrement séparés. Mais ils travaillaient sur un autre chantier. Nous avons travaillé à la construction de bunkers. Ici aussi, il n’y avait pratiquement aucune issue. Parfois, une autorisation était accordée, par exemple pour aller chez le dentiste, c’est-à-dire que le trajet jusqu’au dentiste faisait environ 6 km car il n’y avait pas de villes à proximité du camp et un garde allemand nous accompagnait sur ce trajet. Il était hors de question de quitter le camp car le camp se trouvait dans un terrain vague.

Une fois, j’ai été frappé à la tête avec un bâton sur un chantier de construction. Une autre fois, j’ai reçu un coup de pied dans le ventre. Lors du premier incident, ma tête était tellement blessée que j’ai dû être emmené chez le médecin. Plus tard, un ami vétérinaire en Espagne m’a soigné.

Je souffre encore aujourd’hui de maux de tête à cause de ces mauvais traitements.

Une forme particulière de harcèlement de la part des gardes consistait à nous tendre un paquet de cigarettes, comme s’ils nous offraient une cigarette. En général, nous ne les prenions pas parce que nous avions des soupçons. Un jour, j’ai essayé et j’ai immédiatement reçu un coup de pied, à tel point que je suis tombé de quatre marches.

Je n’avais pas le droit d’arrêter de travailler si j’avais de la fièvre. Au maximum, un comprimé a été administré.

Une fois, j’ai été envoyé à la carrière de Cler Sampson en guise de punition. Lorsqu’un garde allemand s’est senti insulté, j’ai dit quelques mots en espagnol pendant qu’il me tenait par le cou. Je n’ai été libéré qu’en mai 1945.

Toutes les personnes impliquées ont approuvé l’enregistrement et la transcription de la déclaration.”