“De l’objet-mémoire à l’artisanat d’art, l’exil espagnol de 1939 à nos jours”, exposition du CTDEE à Toulouse du 9 au 28 mars 2020
Le vendredi 13 mars 2020 a eu lieu à la Maison des Associations de Toulouse le vernissage de l’exposition du Centre Toulousain de Documentation sur l’Exil Espagnol qui s’intitule “De l’objet- mémoire à l’artisanat d’art, l’exil espagnol de 1939 à nos jours“. Elle devait être exposée du 9 au 28 mars 2020.
Voici l’avant-propos de cette exposition, présenté dans le catalogue par Placer Marey-Thibon, petite-fille d’exilés et présidente du C.T.D.E.E. , intitulé “81 ans après“: “81 ans après la fin de la guerre d’Espagne, après le début d’un interminable exil pour les Espagnols qui ont quitté leur pays soumis à la dictature franquiste. Toulouse et sa région ont été, pour des milliers d’entre eux, une terre d’accueil. Toulouse n’est-elle pas la capitale de l’exil espagnol républicain ?
Le Centre Toulousain de Documentation sur l’Exil Espagnol (C.T.D.E.E.), fidèle à son rôle de conservateur et de passeur de mémoire, veut aujourd’hui rappeler l’existence de ces exilés et de leurs descendants, leur histoire, leurs parcours de vie. Il n’est pas question ici de commémoration larmoyante, mais plutôt de célébration de la force vitale qui a animé les générations successives de ces femmes et de ces hommes qui, en 1939 pour la plupart, traversaient la frontière la tête haute malgré la défaite.”
Placer Marey-Thibon commente ensuite l’exposition.
“Une première partie présente des objets-mémoire. Ce sont des objets que les réfugiés ont transportés dans leurs maigres bagages, qu’ils ont conservés malgré les péripéties de leurs déplacements et qu’ils ont transmis à leurs enfants, comme témoins de leur vie avant la France, pendant la guerre, pendant l’exode : une valise, une couverture, une photo, un mouchoir… Ce sont aussi des objets qu’ils ont fabriqués durant leur internement dans les camps de concentration : un jouet en bois, un crochet en os ou le premier cahier de cours de français.”
“Ce sont encore les réalisations de ceux qui étaient enrôlés dans les CTE (Compagnies de Travailleurs Étrangers)”.
“Nous avons souhaité inclure dans ces objets-mémoire ceux qui nous viennent des exilés de l’intérieur, de ceux qui n’ont pas pu fuir à temps l’Espagne des vainqueurs et qui ont subi la dure répression, l’univers carcéral ou concentrationnaire franquiste, un tableau, un puzzle, un ouvrage au crochet.”
“Enfin, il nous a semblé important d’ajouter quelques objets-mémoire de l’exil : ceux-là ne sont pas des souvenirs individuels, ils correspondent à une mémoire familiale ou collective. Ils sont les symboles de la continuité des engagements politiques et culturels : le matériel d’imprimerie, les souvenirs de l’Ateneo Español de Toulouse ou encore l’amour du théâtre qui anime ces exilés.”
“La deuxième partie de cette exposition est consacrée à l’artisanat d’art, celui qu’ont pratiqué les exilés eux-mêmes ou celui que pratiquent aujourd’hui leurs descendants. Qu’importe qu’ils soient professionnels ou amateurs, meilleur ouvrier de France ou créateur plus secret, ils ont tous la passion de la création, ils ont tous l’amour des belles choses et ils ont tous dans leur cœur un souvenir de l’Espagne perdue. Pour cette exposition, nous avons souhaité réunir le maximum de disciplines, présenter un large éventail de talents, de savoir-faire. Nous avons privilégié les artisans locaux ou régionaux. Certains n’ont pas pu se joindre à nous, pour des raisons diverses, nous le regrettons profondément. Nous avons néanmoins réussi à présenter une grande variété de réalisations : broderies, couture, crochet, vitraux, art floral, travail sur métal, ébénisterie, restauration ou customisation de meubles…”
Placer Marey-Thibon conclut l’avant-propos: “Enfin, quelques réalisations artistiques se sont glissées dans notre exposition, des réalisations qui allient mémoire et création comme une figurine en terre cuite, une marionnette ou des tableaux et une installation. Cela, pour nous rappeler que la mémoire n’est pas une, qu’elle est plurielle. La mémoire peut être omniprésente, solennelle et grave, mais parfois plus discrète, plus légère, plus distanciée, voire teintée d’humour. À chacun sa mémoire. À chacun, ses mémoires. La mémoire est le reflet à la fois de l’histoire collective et de l’histoire familiale et individuelle. Quelle que soit, cette mémoire est nécessaire et indispensable pour nous mais aussi pour les générations qui suivent et celles qui viennent. S’ancrer dans le passé pour mieux avancer vers le futur.”
La première partie de l’exposition : les objets de la mémoire
Sur 4 grands panneaux en bois, des dessins sur toiles autour desquels les objets-mémoire composent une scène. Ces dessins ont été peints par Sandrine Marino Pinpin, petite-fille d’exilés; trois d’entre eux sont des copies du livre d’Henri Dupré “La Légion Tricolore en Espagne“ (1936-1939) ; celui de la scénographie de l’exode a été peint selon un croquis de Cathy Chollet Balax. La scénographie a été imaginée par Cathy qui a construit l’ensemble avec l’aide de Jeanne Arnal, (nièce de Josefina Arnal, fille de Martín Arnal), Marie-Laurence et Jean-Pierre Regy et Sandrine Marino Pinpin. Une fiche détaillée permet de comprendre à la fois la trajectoire individuelle, familiale et collective de chaque objet.
La préparation de l’exposition a commencé il y a un an, un travail immense: contacts et sélection des prêteurs et des artisans, dossiers pour chacun avec inventaire des objets et des œuvres exposées, biographies, histoire des objets, photos, conditionnement et présentation des objets-mémoire, conception de la scénographie en lien avec l’exil, construction des décors, conception du catalogue…
“ Cette exposition est le résultat d’un engagement collectif des membres de l’association et de leurs proches, chacun a participé dans la mesure de ses disponibilités, de son énergie et de ses talents, ses propositions, ses rencontres avec les prêteurs éventuels, sa participation aux achats, aux surveillances et au service du vernissage. Chacun a pris sa part pour la réussite du projet”, précise Placer Marey-Thibon en insistant sur les valeurs de l’association, le collectif et la mise en commun de toutes les bonnes volontés convergeant vers un même but, préserver la Mémoire de l’Exil. Comme celui de MERE-29 est de “connaître, faire connaître et reconnaître la Mémoire de l’Exil Républicain Espagnol en Finistère“.
Il ne m’est pas possible de parler de tous ces objets mémoriels et objets d’artisanat d’art comme tous le mériteraient… Selon ma propre sensibilité, j’ai choisi de mettre en lumière certains de ces objets, chargés d’histoire, de mémoire et d’émotions, avec mes photographies, celles du C.T.D.E.E et les textes du catalogue de l’exposition. Les lecteurs pourront commander ce superbe catalogue au C.T.D.E.E. avant de visiter l’exposition lors de sa prochaine programmation. Sa conception est de Cathy Chollet Balax et le travail des textes (harmonisation des biographies et explications) de Placer Marey-Thibon et Marie-Louise Oller. En les citant, j’ai pris soin de les mettre entre guillemets.
1) Les objets-mémoire de l’exode nous permettent d’imaginer les péripéties des déplacements et les trajectoires des exilés.
Parmi toutes les valises, en carton, en cuir, en papier, en paille, il y a d’abord la valise de Clementa Mur Gracia, prêtée par sa fille Josefina Arnal : ” Plus de 80 ans après la Retirada, la petite valise bleue est toujours dans la famille. Clementa l’a conservée jalousement toute sa vie. Tous se souviennent de l’avoir vue souvent s’isoler pour l’ouvrir. Tous savent combien ce qu’elle contient compte pour elle. Quelques photos des temps heureux dans leur village du Haut-Aragon, un reste de nappe blanche damassée dont une partie sert, dans les années quarante, à tailler des culottes pour la benjamine, un portefeuille avec des billets de la République…cette valise contient surtout les maigres souvenirs de ses deux aînés, José Emilio et Román, assassinés par les franquistes: trois boutons de manchette, une tirelire, leurs documents officiels, les deux montres à gousset et les deux pochettes de costume que Clementa remettra plus tard, une fois en France, à son troisième fils, devenu l’aîné.”
À côté, la couverture de Martín Arnal Mur : “Carretera y manta (La route et la couverture) où la couverture comme attribut emblématique des combattants et des réfugiés. Martín Arnal Mur, né à Angües (Huesca) en 1921, conserve précieusement la sienne. En réalité, trois couvertures accompagnent son parcours personnel. La première, Martín la perd, la deuxième, trop lourde, il l’abandonne dans une cabane de berger pour la troisième. C’est celle qu’il nous confie aujourd’hui comme objet-témoin de sa mémoire de combattant. Cette couverture, plusieurs fois raccommodée, dit bien ce qu’a vécu Martín de 1936 jusqu’en 1945: assassinat de ses deux frères aînés par les franquistes, combats pendant la guerre civile, un premier exil en 1938, le second en 1939, camps de concentration, C.T.E. et maquis en France, puis guérilla anti-franquiste en Espagne. Pour lui, comme pour les siens, cette couverture symbolise, plus que les souffrances et la douleur de la défaite et de l’exil, la résistance, le combat et l’espoir envers et malgré tout.”
Flamboyante, l’assiette “Viva la República“. “C’est une assiette de fabrication artisanale locale du Bas-Aragon. Elle appartient au maire républicain du petit village de Todolella, près de Morella. À la victoire franquiste, l’objet devient compromettant, il est alors transmis au plus jeune fils de l’ancien maire, Manuel Ripollés. C’est le seul membre de la famille à gagner la France au moment de la Retirada. Celui-ci s’installe dans le Comminges, il se marie avec une Française. Le couple a une fille. C’est elle qui fait don de cet objet à l’association Memoria y Exilio de Saint-Gaudens.”
2) Les objets-mémoire des camps :
La valise-berceau de Enrique Tapia Jiménez, prêtée par Enrique Tapia Herreros (son fils): “Cette valise est fabriquée de toutes pièces par l’ingénieux lieutenant d’aviation Enrique Tapia Jiménez durant son internement au camp de Gurs en 1939. Elle a servi de lit provisoire à son fils, Enrique, pendant les transferts de camp en camp. La couverture provient de la Caserne Pedralbes de Barcelone où est né l’enfant en novembre 1938. Cette valise-berceau, avec la maquette de la machine à vapeur et les enveloppes ferroviaires sont précieusement conservés par son fils”. Quelle surprise de faire connaissance avec le bébé du berceau pendant le vernissage de l’exposition !
La machine à vapeur a été réalisée par Enrique Tapia Jiménez: “Il s’agit d’une maquette de la machine dont Enrique Tapia Jiménez était responsable à la raffinerie de sucre de la Poveda (Madrid) avant la guerre civile. Elle est exécutée de mémoire au camp de Gurs en 1939 avec des branches, des cageots ou du fil de fer. Enrique dessine également l’adresse des enveloppes des lettres qu’il envoie à son épouse. Le dessin représente le train de son village: le corps porte le nom des Français qui accueillent la famille; les roues et le ballast, l’adresse; les rails, le nom de la destinataire. Dès 1936, Enrique Tapia Jiménez s’engage dans l’Armée de l’air. En février 1939, il prend le chemin de l’exil avec femme et enfant. Au Boulou, la famille est séparée. Arrêté, Enrique est envoyé aux camps d’Argelès-sur-Mer, de Saint-Cyprien et de Gurs. Plus tard, il s’installe avec sa famille à Toulouse où il constitue, sur ses loisirs, un œuvre photographique qui témoigne de la vie de la communauté des réfugiés espagnols.”
Ce poème est particulièrement poignant, c’est le poème à Derri, d’Antonio Arisó Llesta : “Entre lirios y zarzas” est un poème écrit par un père éploré au camp de Saint-Cyprien en avril 1939. Il dit l’impossible consolation. Antonio et sa femme, Josefina, viennent de perdre leur petite Derri, âgée de six mois, lors de la traversée des Pyrénées, en pleine Retirada. Ces parents dévastés ont été contraints d’enterrer le corps de leur enfant dans une tombe improvisée, une valise servant de cercueil, sur le chemin de l’exil.”
3) Les objets-mémoire des CTE-GTE, des exilés qui étaient enrôlés dans les C.T.E. et les G.T.E.
Ces avions miniatures sont réalisés en aluminium, avec un évident souci du détail, au début des années 40, sans doute en C.T.E. ou en G.T.E. par un ou des réfugiés, ami(s) de José Mariño et Cinta Espinos, eux aussi réfugiés, et qui en sont les dépositaires.
Qu’est-ce qui conduit leur(s) auteur(s) anonyme(s) à fabriquer des avions? S’agit-il d’un ou de deux aviateurs nostalgiques, membres de la Gloriosa, l’aviation républicaine? S’agit-il de réfugiés affectés en tant que travailleurs étrangers dans une usine d’aviation? Ces avions révèlent-ils le désir d’évasion, loin de leur condition d’exilé? Ou ne sont-ils que des objets fabriqués pour un enfant absent? Toujours est-il que ces deux avions font, dans les années 50, le bonheur des deux enfants de José et Cinta, Terlys et Oscar qui se font un plaisir de les tirer de la boite à boutons où leur mère leur a trouvé une place des plus incongrues.”
Il y a aussi les cahiers de cours de français, comme celui de Jerónimo Marey Jodra: “Ce cahier de cours de français rappelle qu’à l’instar de la très grande majorité de ses compatriotes réfugiés, Jerónimo Marey Jodra se confronte à l’une des réalités bien concrète de tout exil, le barrage de la langue. Il apprend les premiers rudiments de français dans la Compagnie de Travailleurs Étrangers de Seix où il est affecté. C’est la mairie du village qui fournit les cahiers pour les réfugiés qui suivent les cours du soir après une longue journée de travail. Ce cahier, Jerónimo le remplit d’une écriture soignée qui traduit clairement son désir de faire face du mieux possible à la situation dans laquelle il se trouve. Engagé dans la guerre civile dès juillet 1936, il passe en France en février 1939. Il est interné au camp de Saint-Cyprien, puis Septfonds, d’où il sort pour intégrer diverses C.T.E. à Toulouse ou en Ariège.
4) Les objets-mémoire de l’exil en France
À côté des divers objets de l’Ateneo Español de Toulouse et de ceux de l’imprimerie des Gondoles créée par la CNT en el exilio en 1957, symboles de la continuité des engagements politiques, un superbe théâtre de marionnettes.
Le théâtre de marionnettes de l’exil de la famille Parelló témoigne de la continuité politique et culturelle, de l’amour du théâtre qui anime les exilés: “En 1968, Joseph Parelló Porta et son épouse Josefina Toutain Molas fabriquent pour leur petit-fils, Vincent, un théâtre de marionnettes. Ils sont aidés par les parents de Vincent, Josep et Madeleine, et le peintre Joseph Moselle. Excepté Madeleine, tous sont des réfugiés espagnols de la guerre civile. Josep Parelló Porta s’exile en 1939. Son épouse Josefina Toutain Molas et leur fils Josep le rejoignent en 1946. Ils ouvrent un atelier-magasin de confection pour enfants, rue Peyrolières à Toulouse. Les trois marionnettes de ce théâtre, confectionnées avec des chutes de tissu de l’atelier, représentent les personnages de la saynète Escena del Teniente coronel de la Guardia Civil de Federico García Lorca. Ce théâtre remporte un franc succès auprès de Vincent et ses amis, et il est surtout le véhicule idéal pour transmettre, à cet enfant, valeurs et culture de l’Espagne républicaine. Enseñar deleitando ou l’art d’enseigner en divertissant.”
5) Les objets-mémoire de l’exil intérieur, les prisons franquistes
Cette partie de l’exposition est extrêmement intéressante et émouvante, ces objets nous viennent des exilés intérieurs qui ont connu l’univers carcéral ou concentrationnaire franquiste .
Comme le coffret à bijoux sculpté d’Enrique Baquer Bardají: “Ce coffret à bijoux en bois sombre, dont les sculptures sur les faces externes rappellent l’art de l’Artesonado, est, à l’intérieur, doublé d’un tissu satiné rouge ourlé d’un cordon bleu et blanc et comporte un miroir. Outre le soin apporté aux sculptures, ce qui attire particulièrement l’attention ce sont les gravures sur le miroir: des éléments naturels (deux oiseaux, des fleurs et un soleil) naïvement représentés accompagnent la dédicace (Elisa) et la date (25-11-42). Deux oiseaux, des fleurs, un soleil comme contrepoint à la liberté confisquée. C’est en prison qu’Enrique Baquer Bardají réalise ce coffret. En 1936, il est instituteur dans la province de Huesca et adhérent à la FETE-UGT. À la fin de la guerre, il est victime de l’épuration du corps enseignant et condamné à plusieurs années de prison. “
Ainsi que ce col au crochet de Teresa Pous Taló est prêté par Placer Marey-Thibon, sa petite-fille: “Pendant sa détention de neuf mois à la prison de Torrero à Saragosse, en 1937-1938, pour tromper l’ennui et occuper son esprit et ses mains, Teresa Pous Taló fait du crochet. Avec du fil à coudre et un crochet très fin, elle réalise, entre autres, ce col. Teresa Pous Taló est née en 1898 à Caldes de Montbui (Barcelone). En 1936, le coup d’État de juillet bouleverse la vie de cette famille de militants de la CNT qui tient une boulangerie à Alagón (Saragosse). Le village est aux mains des rebelles. Le père et la fille aînée partent en zone républicaine, Teresa reste avec ses deux autres filles au village. La Garde Civile, qui recherche activement son mari l’arrête et l’envoie en prison.”
Sur une caisse en bois, le magnifique Don Quichotte de Juan Salcedo Martín: “Cette sculpture a été réalisée par Juan Salcedo Martín pendant ses longues années passées dans les prisons franquistes. Ce Don Quichotte du grand sculpteur qu’est Salcedo est l’objet-mémoire d’un homme dont la fidélité à ses idéaux est exemplaire. Juan Salcedo Martín est né en 1936 à Bujalance (Cordoue). Anti-franquiste convaincu, il s’exile à Paris en 1960 et adhère aux Jeunesses Libertaires (FIJL). Lorsqu’il revient en Espagne, en 1963, il est arrêté, accusé de mener des activités subversives et condamné en Conseil de guerre à deux peines de mort qui sont commuées en 60 ans de prison à Burgos, Soria, Jaén. Libéré en 1975 après la mort de Franco, Juan Salcedo Martín s’installe en Andalousie où il continue à militer à la CNT et à se consacrer à sa passion, la sculpture.”
Aux côtés du Don Quichotte, il y a cette installation de deux personnages de sable, entourés de fils de fer barbelés, des mannequins de vitrine enduits de colle et recouverts de sable en plusieurs couches, créée et réalisée par Cathy Chollet Balax : “Deux êtres humains sortant du sable, une femme et un homme à tête de valise qui représentent à mes yeux la lutte, le combat, la résistance de toutes les femmes et tous les hommes de cette Espagne républicaine qui se sont battus contre le franquisme. Pour tous ceux qui ont été jetés dans les fosses communes après avoir été assassinés comme mes oncles Emilio et Román Arnal Mur, pour tous ceux qui sont tombés sur le front et ont été ensevelis sur place, pour tous ceux, femmes, enfants, hommes qui ont péri pendant l’exode intérieur, dans les bombardements et pendant la Retirada…combien de personnes enterrées le long du chemin, dans la montagne… Pour tous ceux qui ont rendu leur dernier souffle sur le sable des camps ou dans des cabanes insalubres qui servaient de logements aux familles éparpillées dans les campagnes françaises. Pour tous nos morts mais aussi pour tous ceux qui ont survécu, tous ceux qui ne sont pas restés le genou à terre, tous ceux qui sont restés debout, forts et fiers, et qui ont transmis leurs valeurs..”
La deuxième partie de l’exposition est consacrée à l’artisanat d’art, pratiqué par les exilés eux-mêmes ou celui que pratiquent aujourd’hui leurs descendants: Josefina Arnal Mur, Fanny Balax-Collomb, Marie Bourdon, Jean-Philippe Cabanau, Minerva Carré, Jérôme Carrion, Cathy Chollet- Balax, Valérie Chollet, Sandrine Douane, José Echaniz, Jesús Estarán, Aurore Fernandez, Julien Ferrer, Vicente Gadea, Carmen Gómez Pous, Raimunda Gómez Pous, Françoise Guinart, Alfonso Herrera, Víctor Jordà, Carmen Lebrero, Leslie Ledoux, Edgard Llopis, Francisco Llopis Prosper, Rámon Mora, Sandrine Marino Pinpin, Concepción Navarro Oliver, Víctor Perea, Charlotte Presseq, Mariane Rodriguez, Robert Rojo, Jean Serrano, Flore Thibon, Pauline Tomas, Mariano Tordesillas, Amapola Zapata Jordà.
Dans la deuxième pièce de l’exposition, toute éclairée de soleil, une grande variété de réalisations, un large éventail de talents et de savoir-faire témoignent comme le dit Placer, une même passion de la création et de l’amour des belles choses chez les exilés et leurs descendants. Ils sont tous accompagnés de fiches explicatives avec la biographie individuelle et familiale, le lien avec l’exil.
Voici quelques-uns de ces objets d’artisanat d’art :
Cet ensemble de broderies au point compté est le fruit du travail patient et créatif de Joséphine Arnal, qui ” arrive en France en février 1939 alors qu’elle n’a pas encore cinq ans. Sa famille-ses parents, deux sœurs, deux frères, ses oncles, tantes et cousines-passe la frontière au Boulou. Ils sont alors séparés : son père José Arnal est envoyé dans le Nord et son frère Martín, interné au camp d’Argelès-sur-Mer. Les autres membres de la famille, après bien des péripéties, finissent par arriver avec un groupe d’une centaine de réfugiés espagnols à Lisle-sur-Tarn. Toute la famille Arnal ne peut se réunir à nouveau que fin 1939; elle choisit de rester à Lisle-sur-Tarn où Joséphine vit encore depuis 81 ans.
Voici des installations florales créées par Jérôme Carrion/Labotanica.design : “Jérôme Carrion est petit-fils de réfugiés politiques. Son grand-père, Pedro Manuel Benavente Esquinas, est né dans la province de Cordoue. Républicain convaincu, il combat à Madrid puis à Lérida où il est gravement blessé. En février 1939, il passe en France pour y être interné au camp d’Argelès-sur-Mer où il intègre les C.T.E. Fait prisonnier par les Allemands, il s’évade, rejoint la Résistance et participe à la libération de Prades. Il retourne, ensuite, un temps en Espagne, poursuivre le combat anti-franquiste. Sa grand-mère, Carmen Borràs Fabregat, née à Valls (Tarragone) est au moment de la guerre, aide-soignante à l’hôpital de Valls. Elle s’exile en France et se retrouve internée dans le camp de Mende en Lozère.”
Jérôme Carrion et Labotanica.design créent des objets en végétaux stabilisés ou séchés, des tableaux, installations murales ou de volumes qui trouvent leurs places dans un intérieur tantôt dans les airs, tantôt sur un meuble.
Ces 3 meubles ont été customisés par Cathy Chollet Balax : ” Le 28 mars 1938, la famille Arnal Mur quitte Angües (Aragon) où les franquistes ont assassinés deux de leurs fils, José Emilio et Román, en 1936 et 1937. Commence alors une exode de dix mois dont huit passés en Catalogne, à Fortiá. La mère de Cathy Chollet Balax, Joséphine, a cinq ans quand elle passe la frontière, le 29 janvier 1939, avec ses parents José et Clementa, ses quatre frères et sœurs, Martín, François, Maria et Martine. Martín est envoyé au camp d’Argelès-sur-Mer; José dans la Somme; Clementa et ses enfants, envoyés à l’Isle-sur-Tarn. À nouveau réunie, la famille reste dans le Tarn. Joséphine épouse un Français. Naissent trois enfants, Cathy, Thierry et Valérie.
Autodidacte, Cathy Chollet Balax s’est formée dans des domaines variés: couture, peinture sur verre et porcelaine, art floral, décoration d’intérieur, 3D, réalisation et customisation de meubles.
Sacs, vêtements et objets de décoration, les créations de Valérie Chollet : “Valérie Chollet est fille et petite-fille de réfugiés. En 1939, toute la famille Arnal Mur (dont la benjamine, 5 ans, sera la mère de Valérie) passe en France par la Catalogne. C’est une famille meurtrie par la perte des deux aînés assassinés par les franquistes dans leur village du Haut-Aragon. Cette famille va connaître toutes les vicissitudes liées à l’exode et à l’exil (séparations, faim, froid mais aussi hostilité et rejet avant de poser de nouvelles bases à Lisle-sur-Tarn où la mère de Valérie vit toujours.
Après une formation dans le domaine de la couture, Valérie Chollet a ouvert un atelier de retouches et de création de vêtements et d’accessoires, on peut voir ici ses créations originales et variées, utilisant différentes étoffes et d’autres matières comme le cuir.
Cette tapisserie a été réalisée par Amapola Zapata Jordà, épouse du peintre Joan Jordà et fille d’Ana María Cruzado Sánchez et d’Antonio Zapata Córdoba. “Avant la guerre, son père est déjà un militant très actif qui participe à la création de l’Ateneo libertaire de Gràcia à Barcelone. Il prend part à la guerre civile au sein de la colonne Durruti. En 1939, il passe la frontière; il est interné dans les camps de Saint-Cyprien, Barcarès. Après avoir vécu vingt ans dans les Pyrénées-Orientales, la famille Zapata s’installe à Toulouse.”
Amapola Zapata Jordà, épouse du peintre Joan Jordà, pratique le tissage et la tapisserie de haute lisse ainsi que la dentelle au fuseau.
Dans la troisième et dernière pièce, l’exposition se termine par cette installation artistique qui éveille curiosité et réflexion avec un mélange subtil d’histoire, de politique, d’humour et de mémoire. “Sandrine Marino Pinpin est au croisement des gestes des métiers des arts du spectacle et de l’installation”.
L’installation “Camino y manta” de Sandrine Marino Pinpin est un hommage fort à ses grands-parents, particulièrement sa grand-mère : “Sandrine Marino Pinpin est la petite-fille de José Mariño Carballada, originaire de Galice et de Cinta Espinos Vidal, de Tarragone. Ils sont militants libertaires. Cinta passe la frontière à Prats-de- Mollo. Elle est dirigée vers la Ferté-Saint-Aubin. José s’engage dans la colonne Durruti.
Blessé à plusieurs reprises, il s’exile en février 1939. Interné à Mont-Louis puis au camp du Vernet d’Ariège, il intègre une CTE en 1940. Il prend part à la Résistance. Il séjourne au camp de Noé et du Vernet d’Ariège. Conduit en déportation, il s’évade. En août 1944, il participe à la libération de Paris.”
Parmi toutes les pièces d’artisanat d’art présentes :
Au fur et à mesure de l’après-midi, arrivent les visiteurs de l’exposition, exilés et descendants de la région toulousaine, membres du C.T.D.E.E. ou d’autres associations mémorielles, enfin celles et ceux qui ont pu venir malgré le début de la crise sanitaire qui restreint déjà les déplacements…
Joie de se retrouver pour toute cette communauté, joie et fierté pour les prêteurs de voir leurs objets prendre place et sens dans les scénographies de l’exposition. Il n’a pas toujours été si simple de se séparer de ses objets-mémoriels ni d’accepter de les montrer en dehors de la sphère familiale intime…
C’est le temps de l’inauguration officielle de l’exposition à la salle de conférence de la Maison des Associations et au nom du C.T.D.E.E., Placer Marey-Thibon exprime tous ses remerciements les plus chaleureux à tous les participants, aux exilés et à leurs descendants qui ont accepté de confier au C.T.D.E.E. les objets-mémoriels et les pièces d’artisanat d’art. Elle remercie toutes celles et tous ceux qui ont permis que l’exposition “De l’objet-mémoire à l’artisanat d’art, l’exil espagnol de 1939 à nos jours” et son catalogue voient le jour. Elle remercie aussi la Mairie de Toulouse et la Maison des Associations pour l’aide qu’elles ont apportée à la réalisation de cette manifestation.
Temps de rencontre chaleureuse autour du pot du vernissage…
En guise de conclusion, “Marie reporter” de MERE-29 rend hommage à tous les exilés et leurs descendants, particulièrement à Clementa Mur Gracia qui serait, on peut l’imaginer, heureuse et fière aujourd’hui de cette extraordinaire exposition. Merci à tous les membres du C.T.D.E.E. et à leurs proches pour cet immense travail de Mémoire de l’Exil, merci à Josefina de m’avoir invitée et à Cathy de m’avoir accueillie, j’ai passé en votre compagnie ainsi que celle d’Anita des moments inoubliables ce 13 mars 2020.
Et rendez-vous en 2021 pour revoir cette exposition, si elle est reprogrammée, peut-être avec une délégation de MERE-29…
…C’était il y a un an, el 14 de abril de 2019, lors des Jornadas Republicanas de Huesca, organisées par le C.R.M.A.H. (Círculo Republicano Manolín Abad de Huesca), Parque de los 545 mártires de la Libertad et devant la maison natale de Josefina Arnal Mur à Angües.
Marie Le Bihan, MERE-29
- Derniers Cahiers et parutions du C.T.D.E.E.
- Lien vers l’article du 7 mai 2019 Cahier C.T.D.E.E : « L’exode d’un peuple, la parole des enfants ».
- Lien vers l’article de juin 2015 Cahier C.T.D.E.E. de juillet 2015 « Las 2 Marías de Compostela », écrit par María Lopo.
- María Lopo a écrit, pour le Cahier C.T.D.E.E. numéro 4 de décembre 2015, un très bel article sur María Victoria Casares Pérez, la Galicienne de A Coruña, plus connue en France comme tragédienne sous le nom de Maria Casarès: « Maria Casarès. A Galicia de Camus » .