J’ai lu « El abismo del olvido » (L’abîme de l’oubli), roman graphique de Paco Roca et Rodrigo Terrasa
L’Espagne n’en finit pas de récupérer la mémoire historique de la Guerre d’Espagne 1936/1939 et de solder les comptes avec son passé tragique. Ainsi, près de 85 ans après la fin du conflit et après plus de quatre décennies de démocratie, le pays demeure jonché de centaines de fosses communes qui abritent des dizaines de milliers de restes d’êtres humains qui attendent de sortir, un jour peut-être, de l’oubli auquel les avait condamnés le régime franquiste. En Espagne, il y a des fosses communes dans les cimetières, mais aussi sous les autoroutes, les supermarchés, les restaurants…
Cette question douloureuse est le sujet du roman graphique El abismo del olvido, réalisé par Paco Roca et Rodrigo Terrasa et publié le 5 décembre 2023 aux Éditions Astiberri (Bilbao). Originaires de Valence, les deux auteurs ne sont pas des inconnus en Espagne. Paco Roca s’est imposé depuis deux décennies comme l’un des meilleurs dessinateurs de romans graphiques de son pays, tandis que Rodrigo Terrasa est un journaliste chevronné qui travaille depuis 22 ans pour le grand quotidien espagnol El Mundo. C’est ce dernier qui est à l’origine du projet de ce roman graphique et qui en est le scénariste principal.
El abismo del olvido suit le combat obstiné de Pepica Celda, contre tout et contre tous, pour récupérer les restes de son père José Celda Beneyto, agriculteur républicain affilié à Izquierda republicana, fusillé le 14 septembre 1940 et enterré dans une fosse commune avec 38 autres personnes, la fosse 126, dans le cimetière de Paterna. Située dans la province de Valence, Paterna abrite dans son cimetière 135 fosses communes où sont enterrées 2238 personnes fusillées entre 1940 et 1945, réparties entre les fosses 65 et 135, victimes de la terrible répression franquiste de l’après Guerre d’Espagne. Le scénariste a fait un travail remarquable, très consciencieux, de recherche historique, afin de coller le plus possible à la réalité des faits et des personnages.
Le roman graphique est divisé en une quinzaine de chapitres entrelaçant deux trames narratives : l’une située au début des années 40, au plus fort de la répression franquiste; l’autre basée en 2013, au moment de l’excavation des fosses communes dans le cimetière de Paterna. Cette structure narrative binaire permet un va-et-vient constant entre passé et présent qui est l’essence même du fonctionnement de la mémoire. Cela permet de suivre les péripéties et les enjeux de la course contre la montre entreprise contre l’oubli par Pepica Celda, afin de donner à son père une digne sépulture et ainsi, accomplir une promesse quand elle était enfant, quelques 70 ans plus tôt…
Outre celui de Pepica, à la fois obstinée et très émouvante, les auteurs dessinent quelques autres beaux portraits. Celui de Leoncio Badía Navarro, le fossoyeur humaniste, occupe une place essentielle : républicain, il échappe de peu au peloton d’exécution devant El Terrer (camp de tirs de la caserne de Paterna) et doit en échange exercer les fonctions de fossoyeur dans le cimetière de Paterna, chargé d’enterrer, la nuit, les fusillés dans les fosses communes, « los suyos« … Pendant près de cinq ans, il accorde un soin particulier aux corps des défunts, laisse des traces (des botellitas de pharmacie avec le nom des personnes ou des objets personnels) dans l’espoir de leur identification future et aide les familles à faire leur deuil, récupérant les objets des défunts… une mèche de cheveux du père de Pepica, un lacet de chaussures de Antonio et des centaines de boutons, selon sa fille Maruja. C’est un personnage hors du commun, passionné par la philosophie, la mythologie grecque, l’astronomie et el perfecto orden del universo, auquel les auteurs rendent ici justice. Celui d’Elisa, l’archéologue enceinte, symbolisant en sa personne le lien entre le passé, le présent et l’avenir, qui apporte le recours de la science archéologique et son engagement citoyen, deux éléments indispensables pour mener à bien cette entreprise de récupération de la mémoire. Il faut mentionner aussi le personnage collectif des femmes, mères, veuves et sœurs, toutes victimes mais tellement courageuses et solidaires, empêchées pendant des décennies de faire leur deuil. Homère, l’Iliade et ses héros, Patroclo, Héctor et Aquiles sont également invités, mettant en lumière l’importance des rites funéraires.
El abismo del olvido est un roman graphique à la fois très poignant mais aussi très instructif. Le soin particulier apporté à la documentation historique par Rodrigo Terrasa en fait une belle leçon d’histoire sur cette page sombre et cachée du passé de l’Espagne. Il permet également d’éclairer les enjeux politiques et culturels de cette question mémorielle, de prendre conscience du rôle des associations mémorielles comme l’A.R.M.H (Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica créée en 2000 par Emilio Silva et Santiago Macías). Il relate magistralement comment la société espagnole s’est construite sur l’oubli de ces exécutions sous l’ère franquiste, pendant 40 ans. Puis dans les 46 ans de démocratie qui ont suivi, il s’est passé à peu près la même chose dit Paco Roca : « Nous avons continué à entendre les voix qui nous disaient qu’il fallait regarder devant, qu’il ne fallait pas se souvenir afin de ne pas réveiller les blessures ». C’est tout le sens de cette phrase qui se répète dans le roman graphique : « El olvido es la muerte« .
L’épilogue du roman graphique, écrit par Rodrigo Terrasa apporte énormément d’éléments très intéressants. Il y retrace le processus de conception de El abismo del olvido de 2013 à 2022 avec Paco Roca, ses rencontres avec les filles de José Celda et Leoncio Badía, Josefa (Pepica) Celda et Maruja Badía. Il a pris connaissance de l’histoire de Leoncio Badía dans un des chapitres de l’émission « Vidas enterradas » des journalistes Javier del Pino, Conchi Cejudo et Gervasio Sánchez, série de reportages de la chaîne Cadena Ser sur les centaines de représailles et d’assassinats pendant la Guerre d’Espagne et la dictature franquiste. Il termine par ces paroles de Pepica : « Yo no quiero venganza, yo solo quiero llevar a mi padre al lado de mi madre y cuando me apetezca, llevarle un ramo de flores. No pido otra cosa. La noche antes de que lo mataron, mi padre escribió una carta en un trozo de papel higiénico y se la escondió en un dobladillo del pantalón. En ella nos decía que moría inocente y nos pedía que no le olvidáramos. Si está en algún sitio viéndome, sabrá que su hija no lo olvidó. »
Merci à Paco Roca et Rodrigo Terrasa pour cet ouvrage remarquable et nécessaire dans une période politique où l’Espagne, dans plusieurs de ses provinces, remet en cause la légitimité de la Ley de Memoria Democrática (votée le 21 octobre 2022 par le gouvernement de Pedro Sánchez) : ainsi le 15 février 2024, dans un climat de tension, les Cortes d’Aragón (majorité Partido Popular et Vox) ont voté la dérogation de la Ley de Memoria Democrática autonómica de Aragón, qui avait été approuvée lors de la législature précédente par le gouvernement du socialiste Javier Lambán.
Marie Le Bihan, MERE 29
La asociación de críticos y divulgadores de cómic de España (ACDCómic) a sélectionné El abismo del olvido comme le meilleur ouvrage de l’année 2023, en soulignant que les auteurs rendent hommage aux fusillés du régime franquiste à Paterna ainsi qu’aux familles et aux proches qui ont fait tout leur possible pour leur donner une sépulture et une mémoire digne ; et qu’en même temps, ils rendent hommage également à tous ceux qui ont lutté pour la Ley de Memoria Histórica (2007).
De nombreux articles dans la presse ainsi que des interviews dans des émissions de radio et de télévision comme la RTVE, Radio Teléfonica, Radio Huesca, parmi d’autres ont salué la sortie de El abismo del olvido.
Le libraire José María Aniés en parle dans la rubrique « Domingos son para leer » de El Diario de Huesca (Aragón) comme un des livres les plus vendus pendant la dernière période de Noël !
“El abismo del olvido”, con Paco Roca y Rodrigo Terrasa – YouTube
La Memoria Histórica, en cómic con ‘El abismo del olvido’ (rtve.es)
El abismo del olvido, de Paco Roca y Rodrigo Terrassa – YouTube
A propos des fosses :
El silencio se combate. 85 ans après, un très émouvant hommage à des victimes du franquisme à Huesca
- Libro « Las fosas de Franco » de Emilio Silva et Santiago Macías; Temas de hoy, Madrid; 2003
- Livre « Les fosses du franquisme » de Emilio Silva et Santiago Macías, traduit par Patrick Pépin; Calmann-Lévy; 2006. À partir de la page 296 sont mentionnées les fosses communes de la communauté de Valence et en particulier celles de la ville de Paterna.
Traducción al español del artículo : « El abismo del olvido », la novela gráfica de Paco Roca y Rodrigo Terrasa.
Leí « El abismo del olvido », novela gráfica de Paco Roca y Rodrigo Terrasa (01/03/2024)
España sigue recuperando la memoria histórica de la Guerra civil española (1936-1939), ajustando cuentas con su trágico pasado.
Así, casi 85 años después del fin del conflicto, y después de más de cuatro décadas de democracia, el país sigue plagado de cientos de fosas comunes que albergan a decenas de miles de restos de seres humanos que esperan salir, quizás algún día, de ellas, del olvido al que les había condenado el régimen de Franco. En España hay fosas comunes en los cementerios pero también debajo de las autopistas, supermercados, restaurantes…
Esta dolorosa pregunta es el tema de la novela gráfica « El abismo del olvido », dirigida por Paco Roca y Rodrigo Terrasa, publicada el 5 de diciembre de 2023 por Ediciones Astiberri (Bilbao). Originarios de Valencia, los dos autores no son desconocidos en España. Paco Roca se ha consolidado desde hace dos décadas como uno de los mejores diseñadores de novela gráfica de su país, mientras que Rodrigo Terrasa es un avezado periodista que lleva 22 años trabajando en el importante diario español El Mundo. Es este último quien está en el origen del proyecto de esta novela gráfica y también el guionista principal.
« El abismo del olvido » sigue la tenaz lucha de Pepica Celda, contra todo y todos, para recuperar los restos de su padre José Celda Beneyto, campesino republicano afiliado a Izquierda Republicana, fusilado el 14 de septiembre de 1940 y enterrado en una fosa común junto a otras 38 personas, tumba 126, en el cementerio de Paterna. Situada en la provincia de Valencia, Paterna alberga en su cementerio 135 fosas comunes donde están enterradas 2 228 personas fusiladas entre 1940 y 1945, repartidas entre las fosas 65 y 135, víctimas de la terrible represión franquista tras la Guerra de España. El guionista ha realizado un notable y muy concienciado trabajo de investigación histórica para atenerse lo más posible a la realidad de los hechos y a los personajes.
La novela gráfica se divide en unos quince capítulos que entrelazan dos hilos narrativos : uno ambientado a principios de los años 40, en plena represión franquista, el otro basado en 2013, en el momento de la excavación de fosas comunes en el cementerio de Paterna. Esta estructura narrativa binaria permite un constante vaivén entre pasado y presente que es la esencia misma de cómo funciona la memoria. Esto nos permite seguir las aventuras y desafíos de la carrera contra el tiempo que emprende Pepica Celda, para darle a su padre un entierro digno y así cumplir una promesa que le hizo cuando era niña, unos 70 años antes.
Además del personaje de Pepica, obstinada y muy conmovedora, los autores dibujan otros bellos retratos, el de Leoncio Badía Navarro, el sepulturero humanista, que ocupa un lugar imprescindible : republicano, escapó por poco del pelotón de fusilamiento frente a El Terrer (campo de fusilamiento del cuartel de Paterna) y debe cambiarse para ejercer las funciones de sepulturero en el cementerio de Paterna, encargado de enterrar, por la noche, a los fusilados en las fosas comunes, « los suyos ». Durante casi cinco años, prestó especial cuidado a los cuerpos de los fallecidos, dejando huellas (botellitas de farmacia con nombres de personas u objetos personales) con la esperanza de su futura identificación y ayudó a las familias en el duelo, recolectando los objetos de los fallecidos, un mechón de pelo del padre de Pepica, un cordón de zapato de Antonio y cientos de botones según cuenta su hija Maruja. Es un personaje extraordinario, apasionado por la filosofía, la mitología griega, la astronomía y el perfecto orden del universo a lo que los autores hacen aquí justicia. El de Elisa, la arqueóloga, embarazada, que simboliza en su persona el vínculo entre el pasado, el presente y el futuro, que aporta el recurso de la ciencia arqueológica y su compromiso cívico, dos elementos imprescindibles para llevar a cabo con éxito este negocio de recuperación de la memoria. También debemos mencionar el carácter colectivo de las mujeres, madres, viudas, y hermanas, todas víctimas, pero tan valientes y unidas, a las que durante décadas se le impidió llorar. También están invitados Homero, la Ilíada y sus héroes, Patroclo, Héctor y Aquiles, destacando la importancia de los ritos funerarios.
« El abismo del olvido » es una novela gráfica muy conmovedora pero también muy informativa. El especial cuidado puesto en la documentación histórica de Rodrigo Terrasa la convierte en una hermosa lección de historia sobre esta página oscura y oculta del pasado de España. También saca a la luz las cuestiones políticas y culturales que rodean esta cuestión de la memoria, y a tomar conciencia del papel de las asociaciones memorialistas como la A.R.M.H. (Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica creada en 2000 por Emilio Silva y Santiago Macías). Relata magistralmente cómo la sociedad española se construyó a partir del olvido de estos fusilamientos durante 40 años de Franquismo. Luego durante los 46 años de democracia que siguieron, sucedió más o menos lo mismo, dice Paco Roca : « Seguimos escuchando las voces que nos decían que teníamos que mirar hacia adelante, que no debíamos recordar para no despertar las heridas » Esto es todo el significado de esta frase que se repite en la novela gráfica : « El olvido de la muerte ».
El epílogo de la novela gráfica escrita por Rodrigo Terrasa, aporta muchos elementos muy interesantes. Recorre el proceso de diseño de « El abismo del olvido » de 2013 hasta 2022 con Paco Roca, sus encuentros con las hijas de José Celda y Leoncio Badía, Josefa (Pepica) Celda y Maruja Badía. Conoció la historia de Leoncio Badía en uno de los capítulos del programa « Vidas enterradas » de los periodistas Javier del Pino, Conchi Cejudo y Gervasio Sánchez, una serie de reportajes de Cadena SER sobre los cientos de represalias y asesinatos durante la Guerra de España y la dictatura de Franco. Termina con estas palabras de Pepica : « Yo no quiero venganza, yo solo quiero llevar a mi padre al lado de mi madre y cuanto me apetezca, llevarle un ramo de flores. No pido otra cosa . La noche antes de que lo mataron, mi padre escribió una carta en un trozo de papel higiénico y se la escondió en un dobladillo del pantalón . En ella nos decía que moría inocente y nos pedía que no le olvidáramos. Si está en algún sitio viéndome, sabrá que su hija no lo olvidó».
Gracias a Paco Roca y Rodrigo Terrasa por este notable y necesario trabajo en un período político donde España, en varias de sus comunidades, está poniendo en duda la legitimidad de la Ley de Memoria Democrática, votada el 21 octubre de 2022 por el Gobierno de Pedro Sánchez ; así el 15 de febrero de 2024, en un clima de tensión, las Cortes de Aragón, con la alianza del Partido Popular y Vox, votaron la derogación de la Ley de Memoria Democrática autonomíca de Aragón.
La Asociación de Críticos y Divulgadores Cómic de España (ACDCómic) seleccionó « El abismo del olvido » como mejor obra del año 2023, destacando que los autores rinden homenaje a los fusilados durante el franquismo en Paterna, así como a las familias y seres queridos que hicieron todo lo posible para darles una sepultura y un recuerdo digno ; y al mismo tiempo también rinden homenaje a todos aquellos que lucharon por la Ley de Memoria Histórica (2007).
Numerosos artículos en prensa así como entrevistas en programas de radio y televisión como RTVE, Radio Telefónica, Radio Huesca entre otros, han saludado el estreno de « El abismo del olvido ».
El librero José María Aniés habla de él en la sección « Domingos son para leer » de El Diario de Huesca (Aragón) como uno de los libros más vendidos durante las últimas Navidades !
Marie Le Bihan, MERE-29
Claudine Allende Santa Cruz, MERE-29 : Révision et corrections du texte
* POWER POINT sur PATERNA de Maryvonne Caro présenté lors de la tertulia du 10/12/2024 à Brest: