Gritos de papel. Las cartas de súplica del exilio español (1936-1945) de Guadalupe Adámez Castro

Gritos de papelUn nouveau livre sur l’exil: « Gritos de papel. Las cartas de súplica del exilio español (1936-1945) » de Guadalupe Adámez Castro (Editorial Comares Historia, 14 avril 2017).

Ce livre passionnant est le fruit d’une thèse dirigée par Verónica Sierra Blas et Antonio Castillo Gómez, dans une discipline relativement nouvelle : l’histoire sociale de la culture écrite qui ne met pas le focus sur  les intellectuels ou les politiques mais sur les textes de la gente del común, les gens ordinaires, à partir de sources documentaires sur l’exil espagnol occultées pendant des années.

Guadalupe Adámez Castro est Docteure en Histoire de l’Université d’Alcalá (Madrid), où elle fait partie du Seminario Interdisciplinar de Estudios sobre Cultura Escrita (SIECE) et du Grupo de Investigación LEA (Lectura, Escritura, Alfabetización). Elle a été chercheuse pré et post-doctorale du Projet Européen « Post Scriptum : A Digital Archive of Ordinary Writing (Early Modern Portugal and Spain) », en lien avec l’Université de Lisbonne et a mené différentes recherches au Mexique, aux États-Unis, en France et en Italie.

C’est une des coordinatrices de l’exposition itinérante « Entre España y Rusia. Recuperando la Historia de los Niños de la Guerra » et, depuis 2011, elle fait partie de l’équipe de travail « Palabras en el tiempo », chargée des Archives du courrier de la boîte aux lettres  de la tombe du poète Antonio Machado, au Cimetière Municipal de Collioure.

La principale ligne d’investigation de Guadalupe Adámez Castro est l’étude des pratiques épistolaires produites dans le contexte de l’exil espagnol, centrée spécialement sur les cartas de súplica envoyées par les réfugiés à différentes organisations d’aide, et l’analyse des différentes pratiques d’écriture à l’intérieur des camps d’internement du Sud-Ouest de la France où ont été internés des milliers d’espagnols.

La protagoniste réelle de ce livre, « Gritos de papel. Las cartas de súplica del exilio español (1936-1945) »,  est donc l’écriture, les mots, las palabras, que des milliers de réfugiés espagnols ont écrites durant l’exil espagnol, utilisées pour demander de l’aide aux organismes  qui se sont alors multipliés pour les secourir et plus particulièrement celles des refugiados del común qui ne savent pas toujours écrire et qui n’ont pas laissé de témoignages écrits comme les intellectuels ou les politiques. Cette thèse doctorale se base sur l’étude de 338 cartas de súplica y de petición  envoyées à différents moments de cet exil.

Chronologiquement, cet ouvrage couvre la trajectoire temporelle et spatiale suivie par la plus grande partie des réfugiés : elle commence en Espagne en  1937, au moment des premières évacuations après la chute du Front du Nord qui ont amené les premières politiques d’assistance. Elle se termine au Mexique, entre 1939 et 1942, où un nombre important de réfugiés sont accueillis entre autres par le  Comité Técnico de Ayuda a los Republicanos Españoles (CTARE), la delegación del Servicio de Evacuación  a los Republicanos Españoles (SERE). Est bien sûr aussi concernée la France, où sont arrivés autour d’un demi-million d’exilés espagnols durant l’hiver 1939, après la chute de Barcelone,  la moitié d’entre eux ayant été enfermée dans des camps d’internement. Sortir de ces camps s’est transformé en obsession et pour la majorité, parmi les possibilités proposées  par le gouvernement français, émigrer dans un 2ème pays (principalement le Mexique ou le Chili)  est devenue la plus attractive mais aussi la plus compliquée.

Dans le 1er chapitre, « Una vida por escrito : el exilio de la gente común » , l’auteure met en évidence la place particulière de l’écriture chez les réfugiés espagnols.

Les  5 vagues de l’exil espagnol sont décrites avec ses caractéristiques générales pour ensuite revenir au quotidien extrêmement dur des réfugiés espagnols dans les camps d’internement français (à Agde, Argelès-sur-Mer, Barcarès, Bram, Gurs, Les Milles, Le Vernet D’Ariège, Saint-Cyprien, Septfonds, etc…) : dans ce contexte de crise, individuelle et collective, écrire permet de se (re) connecter à la vie puis devient un outil de résistance.

Dans « Culturas del exilio español entre las alambradas. Literatura y memoria de los campos de concentración en Francia, 1939-1945 » (Barcelona, Anthropos, 2012), Francie Cate-Arries évoque cette cultura de las arenas, dans ces camps installés sur las playas de la muerte,  avec ses 3 axes principaux : la création des barracones de la cultura où les réfugiés reçoivent des cours et des leçons et acquièrent ou complètent une formation ; la fabrication des journaux ou boletines (bulletins d’information) ; le lien avec l’écriture personnelle avec les diarios y la correspondencia.

Les barracones de la cultura  fonctionnent  grâce aux réfugiés, particulièrement les  maestros  y maestras  o  profesores  de la República qui en majorité appartiennent à la Federación de Trabajadores de la Enseñanza (FETE). Héritiers des idées éducatives et culturelles propulsées par la Seconde République espagnole et initiées durant la guerre d’Espagne, ils continuent dans les camps leur travail d’éducation, la lutte contre l’analphabétisme, les milices de la culture, les missions pédagogiques avec les cours de culture générale et de  français.

Plus personnels, quantité de journaux et d’autobiographies vont être écrits par les exilés pendant leur internement et leur exil : certains vont d’ailleurs être publiés, peu après la sortie du camp ou dans le 3ème pays de l’exil ; d’autres le seront en Espagne à la fin de la dictature franquiste. Certains seront aussi écrits après les faits, malgré la douleur de se replonger dans ces souvenirs traumatiques, parfois dans un processus de thérapie qui les aidera à se réconcilier avec le monde extérieur et avec eux-mêmes, à récupérer une identité perdue et à laisser un témoignage de leur vie.

Quant à l’écriture épistolaire, elle est  une des activités principales des réfugiés pendant leur internement : une profusion de lettres partent et arrivent dans les camps tous les jours (jusqu’à 1 000 par jour)   malgré  la censure qui est contournée par diverses stratégies, envoi par des canaux privés, messages cachés, inversés, cryptés.

Ainsi certaines lettres  montrent à quel point  la réception du courrier devient un élément majeur dans la vie du camp, comme l’est celui de se nourrir : Eulalio Ferrer, 18 ans, souligne  que les lettres qu’il reçoit pendant sa réclusion le nourrissent plus que la nourriture. (page 25).

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Cette correspondance a été fondamentale pour maintenir l’unité familiale : beaucoup d’hommes,  pères de famille, ont continué ainsi à exercer, à partir des camps, leur tutelle à travers la correspondance, indiquant à leurs femmes et enfants comment ils devaient se comporter, quelles décisions ils devaient prendre et quelle devait être leur attitude quand ils  seraient séparés pour toujours, comme le fait Marcelino, paysan anarchiste aragonais, dans sa lettre d’adieu aux siens. (page 28). Elle va éventuellement être le moyen de récupérer sa famille perdue et la Croix Rouge Internationale va faire un travail remarquable pour l’échange de nouvelles entre les réfugiés et leurs familles, grâce aux boletines de noticias et boletines de avisos a la familia.

Vías de escape clôture le chapitre : des  lettres  témoignent des différents parcours choisis par la gente del común  pour échapper à cette terrible condition : le rapatriement en Espagne, l’émigration vers un autre pays, la possibilité d’obtenir un contrat de travail à l’extérieur du camp, s’engager dans la Légion étrangère pour combattre dans la Seconde Guerre mondiale ou faire partie des Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE).

La correspondance avec l’Espagne va avoir un rôle important et influencer ces choix en prévenant de la répression féroce et des représailles qui s’abattent sur les vaincus, notamment ceux qui reviennent en Espagne après l’exil.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, après la reconnaissance officielle du gouvernement  franquiste, beaucoup d’exilés vont commencer à renoncer au retour en Espagne, l’exil temporaire va  devenir un exil permanent. L’écriture qui leur a permis de tenir debout va continuer à leur servir en donnant une forme à leurs souvenirs et laisser une trace dans l’Histoire.

Dans le 2e chapitre, intitulé « La súplica durante el éxodo español : un universo peticionario », Guadalupe Adámez Castro analyse l’écriture en tant que passeport pour une vie nouvelle.

Par les cartas de súplica, les réfugiés espagnols sont en relation avec les divers organismes d’aide existants et ils bénéficient d’un exilio asistido  où 3 grands groupes vont contribuer à formation d’un système d’assistance de l’exil espagnol, travaillant de façon complémentaire bien qu’avec  des moments de tensions motivés par des différences idéologiques et des objectifs différents, comme on le verra dans la répartition attribuée à chaque parti ou syndicat pour l’émigration.

Il y a d’abord les organismes dépendants du Gouvernement Républicain, en Espagne puis en exil, en France et en Amérique Latine :

    • La Delegación de la Asistencia Social de Euskadi, dépendant du Gouvernement Basque au moment de la chute du Front du Nord et  dont le siège sera transféré à Barcelone après la chute de Santander
    • Le Servicio de Evacuación a los Republicanos Espanoles (SERE)
    • Le Comité Técnico de Ayuda a los Republicanos Espanoles, (CTARE), au Mexique
    • La Junta de Ayuda a los Republicanos Españoles (JARE)

Ensuite les délégations d’aide des partis politiques et des syndicats, d’abord en Espagne puis en exil : Unión General de Trabajadores (UGT), Confederación Nacional del Trabajo (CNT), Partido Comunista de España (PCE), Izquierda Republicana (IR), Acción Nacionalista Vasca (ANV), Partido Nacionalista Vasco (PNV), Acció Catalana Republicana (ACR), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), Partido Socialista Obrero Español (PSOE).

Puis les services d’aide internationale, de caractère humanitaire, financés par des particuliers ou des volontaires : National Joint Committee for Spanish Relief, dirigé par Eleanor Rathbone, Comité Internacional de Coordinación y de Información para la Ayuda a la España Republicana (CICIAER), Federación de Organismos de Ayuda a los Republicanos Españoles (FOARE), Spanish Refugee Aid (SRA), sans oublier los Cuáqueros (les Quakers).

Certains pays comme le Mexique ont ouvert leurs consulats et leurs ambassades avec le travail remarquable de Narciso Bassols et Luis Ignacio Rodríguez Taboada.

L’auteure envisage ensuite  la súplica como articulación del Estado Republicano  en montrant, par des témoignages, l’importance  acquise progressivement par la correspondance dans le système complexe de l’assistance de l’exil espagnol : les lettres ont été fondamentales pour son articulation, servant de lien entre les réfugiés et les différents organismes d’aide, entre ceux qui n’avaient rien et ceux qui pouvaient donner.

L’univers pétitionnaire de l’exil espagnol est à ses yeux plus qu’un ensemble de demandes écrites dans un moment de désespoir dans lequel il faut chercher de l’aide. Derrière ces demandes, il y a de façon sous-jacente tout un système politique qui cherche à continuer encore à exister et qui, pour pouvoir survivre, doit lutter pour ne pas perdre ses citoyens, alors qu’il a perdu le territoire. Dans ce sens, l’écriture est la courroie de transmission parfaite entre l’individu et l’État et son étude approfondie aide à mieux comprendre la formation  de l’exil espagnol, ses caractéristiques internes, sa composition sociale et les ressorts qui ont permis aux institutions républicaines de se maintenir en vie jusqu’en 1975, à la mort de Franco.

L’univers de l’exil espagnol est avant tout une communauté épistolaire, unie par la nécessité et par le déracinement mais, avant tout, par l’écriture.

Le 3e chapitre, « Primeros pasos y primeras letras : las súplicas a la asistencia social »,  commence par l’étude des  premières cartas de súplica envoyées à la Asistencia Social de la Delegación del Gobierno de Euskadi en Barcelona et à la Delegación de la Asistencia Social en Santander, dépendant du Ministerio de Trabajo y de Sanidad, pendant les premières évacuations en 1937.

Ces premières lettres concernent les évacuations à l’intérieur de la péninsule, après la Campagne de Guipúzcoa, la chute de San Sebastián et d’Irún, de Bilbao puis de Santander, Gijón et Avilés et donc la perte du Front du Nord par le Gouvernement républicain.

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Quelle va être la réponse à ces cartas de súplica et  l’aide  apportée par le Gouvernement Républicain  aux réfugiés ?

Le 2 février 1937 est créé le  Comité de Evacuación y Asistencia a  Refugiados, dépendant du Ministerio de Sanidad y Asistencia Social, géré dans un premier temps par Federica Montseny ; il est chargé des évacuations et de tout ce qui en découle, transport, approvisionnement, logement, santé, correspondance, occupation des exilés et trésorerie comme l’explique le schéma organisationnel (page 73). Il va gérer 3 millions de personnes jusqu’aux premiers mois de 1938.

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La tâche est immense puisque rien n’est organisé, comme le dit Federica Montseny, et pour essayer de maîtriser le chaos est mis en place, à  partir du 1er mars 1937, un registre des réfugiés, obligatoire pour l’identification : les réfugiés doivent remplir una ficha de evacuación y refugio qu’ils peuvent trouver au Comité Local de Refugiados du district où ils se trouvent. Ces fiches vont permettre la localisation des réfugiés et rendre possible l’échange de correspondance. D’autre part, dès le début de la guerre, l’affranchissement est gratuit pour le courrier officiel, le courrier du front, le courrier des enfants des colonies, celui des réfugiés envoyés aux services d’évacuation et aux services municipaux, sans distinction de revenus ni de sexe.

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Un bon nombre de ces lettres n’arrive cependant pas à leur destinataire, ce sont toutes celles retrouvées dans les archives : le changement constant de domicile de beaucoup de déplacés, de même que les déplacements  liés aux mouvements du Front, rendent très compliqué l’échange de correspondance.

Il existe une différence significative entre le courrier écrit par les femmes (35 %  du total) et celui des hommes : les femmes écrivent depuis les refuges ou autres lieux d’évacuation, souvent dans les Asturies au début de la guerre, puis de la Catalogne, parfois de la France et de l’Angleterre, pour retrouver leurs compagnons, maris ou enfants, sur le Front ou évacués dans un lieu inconnu. Pour les hommes, il y a une plus grande variété géographique, les lettres peuvent être écrites des hôpitaux (dans les Asturies, à Valence), dans divers lieux d’Espagne, avec une prédominance de la zone catalane puis apparaissent d’autres provenances comme Guadalajara, Madrid, Aragón et depuis le front de bataille, lettres sur lesquelles on peut lire « En Campaña » ; il y a aussi plus rarement des lettres écrites de France et de Russie.

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Quel est le contenu de ces premières cartas de súplica ?

Dans les lettres sélectionnées du 24/2/1937 au 20/12/1938, le leitmotiv est una búsqueda desesperada, une recherche désespérée de la famille disparue pendant les différentes phases des évacuations et la demande d’envoi de la correspondance.

Ainsi à la page 80 de la thèse,  Ángel Valcárcel Gimeno, 65 ans, natif de Bilbao, réfugié à Prats de Llucones (Province de Barcelone), demande le point de chute de son fils Ángel, lieutenant de la XIème Brigade sur le Front des Asturies, ainsi que celui de son fils Jacobo, appartenant au Bataillon de la CNT Sacco y Vanzetti, blessé et hospitalisé à l’hôpital de Basurto, et celui de sa femme Luisa Lezama Zubiaur et de leurs 2 fils mineurs Paulino et Dámoso qui ont embarqué au port de Bilbao le 30/05/1937 sur le vapeur Habana en direction de la France.

Elles sont souvent écrites par des mains inexpérimentées qui n’ont jamais été confrontées à ce type d’exercice et qui n’en connaissent pas les normes (fautes d’orthographes, traits tremblants, dépassement des marges, support inapproprié, …). C’est lié au fort taux d’analphabétisme en Espagne à cette époque. Un processus se met alors en marche : « Aprender a pedir. La toma de contacto con la retórica de la sumisión ». D’abord spontanées,  elles vont utiliser et se soumettre aux normes de rédaction des lettres de demande figurant dans les manuels épistolaires édités et réédités à l’époque.

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Puis il va y avoir une certaine transgression de cette norme avec un changement de relation épistolaire entre le demandeur et le destinataire de la lettre, sans distance hiérarchique, plus démocratique,  basée sur la solidarité.

Dans le 4e chapitre, « Por techo el cielo y por lecho la arena. Peticiones desde los campos de internamiento », Guadalupe Adámez Castro se centre sur les cartas de súplica envoyées à la Délégation de la Unión General de Trabajadores (UGT) à Paris,  dirigée par Amaro del Rosal et qui sert d’intermédiaire avec le SERE.

Ici, c’est un voyage à l’intérieur des cartas de súplica des affiliés à la UGT et avec elles, dans les histoires de vie des réfugiés, de véritables autobiographies dans lesquelles ils racontent leur exil. Diverses stratégies vont se mettre en place afin d’être écouté, mettant l’accent sur la relation entre le langage et le pouvoir. Même si beaucoup sont des écrivains inexpérimentés, ils vont utiliser la palabra como una arma de lucha.

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Comme les autres partis et syndicats, la UGT doit abandonner l’Espagne dans les derniers mois du conflit. Certains de ses leaders  préparent leur départ et se trouvent en France, avant la perte du Front de Catalogne, persuadés que le reste de leurs compagnons ne va pas tarder à arriver et c’est ce qui se passe. D’autres résistent jusqu’à la chute de Barcelone, quand surgit la marea republicana. Il y a aussi ceux qui vont rester pour toujours, piégés dans l’Espagne franquiste, et qui vont être l’objet des terribles représailles et humiliations subies par les vaincus.

Le 10 février 1939, à Perpignan, lors de leur 1ère réunion, les dirigeants et collaborateurs ugétistes qui ont réussi à franchir la frontière s’accordent sur les tâches urgentes : aider les réfugiés espagnols qui sont dans les camps d’internement et défendre les droits de tous ceux qui n’ont pas pu fuir l’Espagne franquiste.

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La Comisión Ejecutiva de la UGT installe ses bureaux à Paris, dans les locaux du Siège de l’Union des Syndicats entre mars et avril 1939, avec des antennes à Toulouse et Limoges.

Le travail de la UGT va être essentiellement una labor de intermediario : les demandes faites au Comité exécutif par les Comités ugétistes des camps  sont en majorité des demandes de médiation devant le SERE pour être inclus sur les listes proposées pour émigrer, élaborées par le syndicat. Beaucoup de réfugiés vont d’ailleurs comme Juan (page 108) envoyer des demandes doubles au SERE et à la UGT pour renforcer leur demande afin de sortir de cet enfer des camps.

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Les critères définis clairement au début par la Comisión Ejecutiva pour le droit à émigrer sont des critères politiques et moraux. Ils sont vite connus par les réfugiés espagnols qui vont dans leur courrier expliquer leur degré d’implication et de responsabilité comme militant, ce qui va vite se traduire par une lutte pour convaincre les représentants de la UGT de la force de son engagement passé.

Les réfugiés qui embarquent en 1939 pour le Mexique et le Chili  sont conscients du travail réalisé par le syndicat, ils ressentent un fort sentiment de gratitude pour le pays d’accueil, sentiment qui va se maintenir pendant toutes les années de l’exil. Ils entreprennent une nouvelle vie, la causa pour laquelle ils se sont sacrifiés leur offre une nouvelle chance ; cependant, ils n’oublient pas de maintenir l’engagement dans la lutte antifasciste qui ne va pas s’arrêter dans les camps français ni pendant la traversée de l’Atlantique.

On voit bien la double intention de la UGT dans son travail d’aide : l’assistance des réfugiés et le maintien de la foi en la lutte antifasciste. Dans les pays américains, et notamment au Mexique qui ne rétablira pas de relations officielles avec l’Espagne avant 1977, beaucoup de réfugiés espagnols, sans forcément participer de façon active à la politique, vont garder intact leur engagement pour la causa, se sentant toujours des républicains exilés. Il n’est pas rare d’entendre  des réfugiés ayant passé la plus grande partie de leur vie au Mexique expliquer qu’ils l’ont dédiée à la lucha contra el fascismo.

En même temps, le système d’assistance déployé par la UGT sert à maintenir le contact entre les réfugiés et réunir les noyaux existants qui seront ensuite fondamentaux pendant les années de l’exil en France : un circuit d’aide et de propagande qui ne peut se créer et se maintenir sans aucun doute, que grâce à l’écriture.

Qui sont los afiliados ?

La plupart des auteurs des demandes qui composent ce chapitre, envoyées entre le 6 juin et le 9 novembre 1939, sont des hommes autour de la trentaine, 5 cartas  seulement sur 82 sont écrites par des femmes ayant travaillé comme secrétaires pour la UGT ou veuves de guerre d’un affilié.

Les demandes font allusion à la profession : le secteur primaire avec los campesinos, agricultores y mineros est le favori pour émigrer. Puis vient le secteur industriel avec los mecánicos, obreros, metalúrgicos… Et le secteur tertiaire, les administratifs et les professions libérales comme los maestros.

Les cartas comme celles de Francisco et Esteban (pages 113 et 114) montrent comment les affiliés s’adressent à la UGT  pour trouver une solution définitive à leur lamentable situation, celle de l’émigration vers un pays qui va offrir pan, trabajo y hogar. Ce ne sont plus des lettres de soumission mais des lettres d’exigences dans lesquelles les autobiographies sont parfaitement intégrées.

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Estimados camaradas. ¿ Por qué merezco emigrar ?

Le premier argument qui apparaît dans la narration autobiographique est le profil de militant actif de la UGT, le deuxième est la participation active à la Guerre d’Espagne, le profil de combattant qui apparaît souvent au milieu de la carta. Ensuite vient l’argumentation plus personnelle, plus humaine, les thèmes de la santé, de la famille, du sacrifice fait pour la République et la nécessité de la réunification de la famille. Les dates, les noms, les lieux, les épisodes familiaux souvent traumatiques sont cités, avec un discours alors plus personnel basé sur les émotions et les sentiments, sur la souffrance comme conséquence de l’engagement personnel et familial de la lutte antifasciste.

Militantisme syndical, lutte pendant la Guerre d’Espagne et sacrifice sont ainsi les 3 piliers présents dans ces historias de vida sur lesquels les réfugiés structurent leur demande d’émigration et sur lesquels ils portent toutes leurs espérances pour être considérés comme émigrable. Il y a un lenguaje ugetiste : que la carta soit écrite de la main d’un camarade ou de sa propre main, avec une bonne ou un mauvaise écriture, avec plus ou moins de fautes d’orthographe, les exilés espagnols utilisent toutes leurs forces, leurs arguments et leurs illusions pour écrire des lettres fortes et émouvantes, afin de faire partie de ces listas, passeports pour une nouvelle vie. C’est à travers l’écriture qu’il faut cette fois continuer la lutte antifasciste.

Dans le dernier chapitre, « México : país de acogida. Las solicitudes al CTARE », Guadalupe Adámez  Castro s’intéresse aux  différentes cartas y peticiones envoyées au CTARE, délégation du SERE, après l’arrivée  au Mexique, pays dans lequel se termine, pour beaucoup d’entre eux, le périple de réfugié. Ici encore, la culture écrite de l’exil espagnol va devenir déterminante et la palabra continue d’être la meilleure arma de lucha.

Grâce à l’engagement du Président mexicain Lázaro Cárdenas auprès du Gouvernement républicain tout au long de la Guerre d’Espagne et après sa défaite, le Gouvernement mexicain accueille entre 20 000 et 24 000 espagnols à partir de l’été 1939. Les 3 grandes expéditions qui transportent un grand nombre de réfugiés au Mexique l’été 1939 sont le Sinaï (Sinaia)avec 1599 passagers, le Mexique (2067) et l’Ipanema (994). À la fin août, autour de 6 000 personnes se trouvent au Mexique.

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Le 29 juin 1939, le SERE crée une délégation, le CTARE, qui va se charger de la gestion et du soutien aux exilés pendant les premiers mois,  présidé par le docteur José Puche Álvarez avec des fonds mandatés par Francisco Méndez Aspe, ministre des Finances du gouvernement Negrín.

La correspondance analysée dans ce chapitre est conservée dans el Archivo Histórico del CTARE, intégré dans el Archivo Histórico de la Biblioteca del Instituto Nacional de Antropología e Historia (AH-BINAH), à México. Ici, las cartas de súplica y peticiones sont réalisées de manière adéquate, d’abord parce que les espagnols qui arrivent au Mexique, après la sélection du SERE, ont une formation académique et professionnelle au-dessus de la moyenne et donc une meilleure compétence lecture-écriture et aussi parce qu’ils ont acquis une certaine expérience dans la réalisation de cet exercice tout au long de leur trajectoire.

La plupart des cartas contiennent des messages de remerciements au CTARE. Ce sont aussi des demandes d’aide pour mieux s’insérer dans le pays d’accueil, souvent des demandes de regroupement familial, certains vont même jusqu’à offrir les dépenses dérivées du voyage pour des membres de la famille ou des amis réfugiés en France. Ainsi Desiderio García Velartu (page 150) écrit le 4 juin 1940 au sujet des membres de sa famille internés dans les camps. Les demandes les plus nombreuses sont celles qui s’adressent au CTARE pour demander le point de chute de leur famille, pour donner ou demander une adresse.

Il y a une nécessité impérieuse des réfugiés au Mexique de continuer à maintenir le contact avec ceux qu’ils ont perdus et l’échange épistolaire est le principal outil de transmission de nouvelles. Mais ce contact n’est pas si facile , les réfugiés se déplacent fréquemment d’un endroit à un autre, ainsi beaucoup de familles perdent la trace des leurs. Il n’y a pas d’autre moyen que d’écrire au CTARE et d’utiliser ses registres.

Le chapitre se termine avec Más allá de la súplica : archivo, control y memoria, où Guadalupe Adámez Castro se pose la question de la logique poursuivie par le CTARE qui a archivé et classé toutes ces lettres. Elle y voit une volonté de contrôler le passé, le présent et le futur des réfugiés qui s’adressaient à lui, avec un certain paternalisme, au nom de la République en déroute.

Des fiches ont été élaborées par le CTARE à partir des lettres avec 4 thèmes :

  • Les données personnelles avec une attention particulière à la formation et à l’expérience professionnelle
  • L’action pendant la guerre, autant l’action militaire que l’action civile
  • La composition de toute la famille autant ceux qui sont au Mexique que ceux qui ne le sont pas
  • L’émigration depuis le passage de la frontière française jusqu’à la traversée au Mexique

Parce qu’ils ont sûrement conscience que ces archives vont être une partie indispensable de l’exil espagnol, José Puche et le CTARE se sont donnés beaucoup de peine pour que la documentation conservée  ne se disperse pas ni ne change de lieu ; c’est aussi le seul centre d’archives où l’on peut consulter les réponses aux demandes faites. Des témoignages qui se sont transformés en preuves documentaires au service de l’Historien.

Una comunidad articulada en torno a la escritura constitue l’épilogue de ce livre avec la notion de comunidad imaginada dont les piliers sont la fidélité due à la cause républicaine et la fraternité due à tous les membres de cette communauté, un système qui commence à se mettre en marche pendant les premières évacuations au début du conflit, se consolide tout au long de celui-ci et s’alimente avec l’écriture, comme si l’écriture était un cordon ombilical unissant chacun à son monde antérieur, nourrissant de cette façon son identité.

Pour cet immense travail, Guadalupe Adámez Castro a reçu en avril 2017 el Primer Premio Nacional de Tesis Doctorales sobre Movimientos migratorios  en el  mundo contemporáneo (por la Dirección General de Migraciones del Ministerio de Empleo y  Seguridad Social y el Centro de Estudios de Migraciones y Exilios de la Universidad Nacional de Educación a Distancia). Et dernièrement, el Premio de la Mejor Tesis Doctoral de Filosofía y Letras de la Sociedad de Condueños de la Universidad de Alcalá (Madrid).

Guadalupe Ádamez Castro a souhaité nous aider à mieux comprendre les exilés « ordinaires », dont l’existence a tendance à disparaître derrière les grands personnages, les politiciens et les intellectuels. Elle a voulu récupérer leurs voix et leurs motsconstruisant ainsi une histoire plus juste et  plus démocratique de l’exil espagnol, à partir de ces hojas de papel en las que los exiliados ahogaron sus gritos desesperados (ces feuilles de papier sur lesquelles les exilés ont étouffé leurs cris désespérés).INVITACIÓN PRESENTACIÓN GRITOS DE PAPEL

Marie Le Bihan