“Rotspanier”, histoire, mémoire: 4) une “lueur dans la nuit”, le registre des accidents de travail de Saint-Pierre-Quilbignon, 1941

Victor Hugo disait « L’exil est une espèce de longue insomnie » (« Les contemplations »), que dire de ces mots appliqués à la guerre d’Espagne, à l’exil qui s’en suivit et à la mémoire de celui-ci ? Une tragédie sans nul doute, une insomnie ? Un oubli ? Un déni ?

 

 

La consultation d’un document particulier aux Archives municipales de Brest, le registre des Procès-Verbaux des accidents de travail de la commune de Saint-Pierre-Quilbignon de 1941 lève une partie du voile entourant cette mémoire, cette histoire des « rotspanier » à Brest. [Saint-Pierre-Quilbignon est aujourd’hui un quartier de la ville de Brest, il s’agissait avant la seconde guerre mondiale d’une commune à part entière. La base sous-marine se trouvait sur le territoire de cette commune. Par arrêté du 3 octobre 1944 pris par Victor Le Gorgeu alors commissaire régional de la République, Brest s’agrandit considérablement en absorbant ses trois communes voisines Lambézellec, Saint-Marc et donc Saint-Pierre]

Ce document important a été récemment numérisé et mis en ligne par le service des archives de la ville de Brest. Saluons au passage cette heureuse initiative, initiative dans laquelle MERE 29 et ses actions ont peut-être une part ?

Accès au registre des accidents de travail de la commune de St Pierre-Quilbignon (1941, archives de la ville de Brest, fonds de la commune de Saint-Pierre-Quilbignon) : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_RegistreArt5QxzxP9/ILUMP9928

Ce registre avait fait l’objet d’une étude sommaire avant sa numérisation. Les 1031 Procès-Verbaux avaient été brièvement analysés et servirent de base documentaire à la rédaction d’un rapport adressé en 2013 au Vice-Amiral d’Escadre, préfet maritime de l’Atlantique à Brest. Il s’agissait alors de convaincre les autorités de la nécessité de « reconnaître » la présence des républicains espagnols à Brest comme travailleurs forcés durant l’Occupation. Cette « reconnaissance » ayant abouti dans un second temps avec l’accord, le soutien plein et entier de la Marine nationale, à l’apposition de 2 plaques « mémorielles » rappelant cette présence à Brest. Une première plaque fût inaugurée sur l’un des murs de la base des sous-marins de Brest, le 10 octobre 2014, une seconde vit le jour, le 27 mai 2015 à l’entrée du Fort Montbarey, camp principal d’internement de l’Organisation Todt des « rotspanier » durant l’Occupation.

Ces premiers renseignements relevés dans ce registre s’avérèrent essentiel. Des centaines de noms à consonance hispanique apparaissaient, des hommes sortaient enfin un peu de l’oubli. Ceux-ci étaient employés au chantier des « quatre pompes » [Chantier de la base des sous-marins], essentiellement par la société « Bergtcamp » [entreprise « Germano-française », principal entreprise ayant édifiée la base des sous-marins] entre le 25 avril 1941 et le 12 septembre 1941 [période d’arrivée des premiers « rotspanier »,  travailleurs forcés espagnols sur Brest], ils séjournaient au « camp de St Anne », de « Keroual » « St Pierre » [Le Fort Montbarey, le camp « OT rotspanier-arbeiter -Ernst Moritz Arndt »]…Ils étaient manœuvres pour la plupart d’entre eux, les accidents de travail intervenaient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, sept jour sur sept, ces accidents de travail conduisaient dans certains cas à la mort…De nombreux témoignages évoquaient ce chantier brestois, cet « Arsenal de la Barbarie » comme l’a qualifié notre président d’honneur, poète et ami, Claudio Rodríguez Fer, ces conditions de travail, ces camps, mais…Il fallait sans doute qu’un document « Officiel », une pièce d’archive précise les choses…

 

 

 

On dit parfois que la mémoire nourrit l’histoire et que l’histoire la justifie ? L’analyse plus complète, l’exploitation plus fine de ce document qui reste à mener ne contredira sans doute pas cet adage et permettra ainsi de franchir un peu plus, un pas essentiel dans la connaissance et la reconnaissance de la mémoire républicaine espagnole à Brest.