Que sont nos amis exilés républicains espagnols devenus? “La Retirada et l’exil républicain espagnol en Bretagne, 80 ans après (1939-2019). Histoire, mémoire, création” du 1er au 3 avril 2019 à Brest et le 4 avril 2019 à Camaret-sur-Mer

Le 2 ème colloque international « La Retirada et l’exil républicain espagnol en Bretagne, 80 ans après (1939-2019). Histoire, mémoire, création »  a eu lieu à Brest du 1er au 3 avril 2019 à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines Victor Segalen ainsi que le 4 avril 2019 à Camaret-sur-Mer.

  Présentation de la manifestation

L’objectif du colloque a été de mettre en lumière une période fondamentale de l’histoire européenne du 20 ième siècle et d’apporter un éclairage historique, littéraire, artistique et mémoriel sur la guerre d’Espagne et l’accueil des réfugiés espagnols en Bretagne, ceci 80 ans après la Retirada.

Il s’agit pour le comité scientifique du colloque, « de mettre en exergue les parcours de ces réfugiés, leur accueil, les traces encore vivaces de cette période et l’actualité de ces questions, avec l’accueil des réfugiés en Europe »… et de s’intéresser plus particulièrement au parcours des enfants.

Voici  le  communiqué de presse et le programme du colloque:

https://www.univ-brest.fr/hcti/menu/Actualites/Archives/II-colloque-international-La-Retirada-et-l_exil-republicain-espagnol-en-Bretagne-

                                                             Les interventions

 Lundi 1er avril 2019, matin

Après le mot de bienvenue aux participants par Alain Kerhervé, directeur du laboratoire Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image (HCTI), Iván López Cabello (directeur Département d’Espagnol UBO et coordinateur du colloque), inaugure et présente les objectifs du colloque, insistant sur quatre points : l’importance de l’histoire et du passé pour éclairer le présent, l’ouverture pluridisciplinaire (histoire, arts, langues, sociologie) et l’ouverture à l’international (Universités de Barcelone, Cadix,  La Rioja, Lisbonne), l’ouverture aux milieux  artistiques, culturels  et associatifs (MERE-29, Casa de la Memoria La Sauceda).

Kiko Herrero (Coordinacíon del 80 Aniversario del Exilio Republicano Español en France) et Marie-Claude Chaput (Université Paris Nanterre, CRIIA ) présentent ensuite une communication, «  1939-2019 : Première commémoration officielle franco-espagnole de la Retirada ». De la déclaration de Franco le 1er avril 1939, « La guerra ha terminado » à la 1ère commémoration officielle franco-espagnole du 9/2/2019 au Père Lachaise à Paris, en présence de Anne Hidalgo, maire de Paris et de la Coordinación del 80 aniversario del Exilio Republicano Español, 80 ans se sont écoulés. Qu’en est-il de cette reconnaissance  tardive de l’exil des Républicains espagnols par les autorités françaises et espagnoles ? Marie-Claude Chaput en retrace les différentes étapes, évoque les différents lieux et acteurs de la mémoire de la Retirada: les chercheurs  et les associations mémorielles. L’année 2019 est une nouvelle étape, avec l’organisation de commémorations communes avec l’appui des gouvernements espagnol et français. Ceci grâce à la volonté de Fernando Martínez López, directeur général de la Memoria Histórica au Ministère de la Justice. Pour lui, les gouvernements français et espagnols qui ont succédé au franquisme (1936-1975) n’ont pas assez fait contre l’oubli de la Retirada, et il est important de retrouver cette mémoire pour  les jeunes générations.

« RESISTIR. Les Républicains espagnols en Bretagne de la Retirada à la Résistance » (Skol Vreizk, 2019), est le travail d’enquête mémorielle que vient nous présenter Gabrielle García (MERE- 29). Elle retrace l’itinéraire de soldats républicains comme son père et celui de Claudine Allende Santa Cruz (MERE-29), depuis les camps de concentration du Sud de la France jusqu’à Brest, Lorient, Rennes et Saint-Malo, points de départ pour les bagnes des îles Anglo-Normandes ou les camps de concentration nazis en Allemagne, pour certains, mais d’autres seront fusillés en Bretagne ou sur le territoire français. Un vibrant hommage au rôle déterminant des républicains espagnols dans la Résistance en Bretagne, qui ont payé un lourd tribut à sa libération.

La communication de Antonio Muñoz Sánchez (U. Lisboa, ICS), «  Las indemnizaciones de la República Federal de Alemania a los exiliados españoles que trabajaron en la Organización Todt en Bretaña » met le projecteur sur les 70 000 exilés espagnols et travailleurs forcés ayant travaillé en Allemagne nazie ou en France, à la construction du Mur de l’Atlantique, dans les 84 camps de travail et les 5 bases navales, celles de Brest, Lorient et Saint-Nazaire pour la Bretagne. Conditions de travail extrêmement difficiles… Disparition des fichiers de la Todt. Dans le cadre de la « Ley Federal de Indemnización a las víctimas del nazismo » de 1956, les Républicains espagnols ont été les seuls travailleurs forcés reconnus par l’Allemagne fédérale comme victimes du nazisme pour des motifs politiques mais ils n’ont pas pu prétendre aux indemnisations car ils n’ont pas d’existence officielle au regard de l’État espagnol.

À BREST, 2 républicains espagnols qui ont travaillé pour l’Organisation Todt ont fait ces demandes d’indemnisations :  Jaime CASADEIRO, né le 01/05/1907 à Barcelona, qui en 1955 demeurait à Brest dans la baraque G15 du Polygone et Juan ESCOBAR GÓMEZ, né le 25/12/1912 à Argamasilla de Calatrava (Ciudad Real), père de Monique ESCOBAR (MERE-29), qui a perçu cette indemnisation.

Lundi 1er avril, après-midi

Romuald Jacopin (UBO, Centre de Recherche Bretonne et Celtique ou CRBC) retrace l’itinéraire de « Yves K’ourio, un volontaire aux origines bretonnes engagé dans la Bandera Jeanne d’Arc, 1936-1944 » qui s’engage à l’âge de 15 ans pour combattre dans la Bandera Jeanne d’Arc (bataillon de volontaires francophones, au sein des phalanges franquistes) sur le front de Madrid et Teruel d’où il est évacué, blessé, en 1938. Il va s’engager ensuite dans la Marine française en 1942 puis choisir la Résistance et le maquis breton où il va mourir à 23 ans sur la terre de ses ancêtres. Parcours initiatique ? Quête de valeurs et construction identitaire ? questionne le président de cette séance Guillaume Fernandez ( Laboratoire d’études et de recherche en sociologie,  LABERS, UBO).

Dominique Leroux de la librairie Excalibulle (place de la Liberté à Brest), présente un « Petit panorama des BD et romans graphiques sur la guerre d’Espagne et l’exil ». Elle en a choisi 10 parmi les 131 les plus récents, en lien avec la thématique du colloque, certains connaissent un vif succès auprès des lecteurs, d’autres sont moins connus.

Les voici:

 Mattéo. La quatrième époque (août-septembre 1936), de Jean-Pierre Gibrat (Futuropolis, 2017) dont le sous-titre est « Barcelone, c’était un peu l’Espagne, c’était surtout la Catalogne, c’était un peu la guerre, c’était surtout la révolution »

Double 7, de Yann  et André Juilliard ( Dargaud, 2018) aborde les conflits politiques de la guerre d’Espagne sur fond d’histoire d’amour entre Lulia militante de « Mujeres libres » et Roman, aviateur soviétique.

VERDAD de Lorena Canottiere

Verdad, de Lorena Canottiere (Ici même Éditions, 2017) qui part rejoindre les Brigades internationales à Barcelone et combattre le franquisme.

Seule, de Denis Lapière et Ricard Efa (Futuropolis, 2017) est le récit de la guerre d’Espagne du point de vue d’une enfant de 7 ans, la séparation d’avec ses parents, le bombardement du village où elle vit chez ses grands-parents par les avions franquistes, basé sur les souvenirs et le périple de Lola, 83 ans, una niña de la guerra , grand-mère de la femme du dessinateur Ricard Efa.

L’art de voler, de Antonio Altarriba et Kim (Denoël, 2011) est né d’un fait réel, le suicide d’un homme de 90 ans qui s’élance du 4ème étage de sa maison de retraite pour enfin voler librement. Dernier fils d’une famille rurale, le père de Antonio Altarriba naît en Aragón au XX ième siècle et n’a d’autre choix que de quitter son village natal pour la ville, Zaragoza. Il rallie les cohortes d’espagnols sans pain ni toit, exploités, exposés à toutes les rigueurs de l’époque : chute de la Monarchie, Seconde République, guerre d’Espagne, dictature de Franco, Deuxième guerre mondiale, retour en Espagne et exil intérieur.

 

L’aile brisée, de Antonio Altarriba et Kim (Denoël, 2016) est l’histoire de Petra, la mère de l’auteur et lui permet de dresser le portrait du camp nationaliste et de Franco, d’aborder la condition féministe au XXème siècle en Espagne, maltraitance, machisme, subordination à la religion. En écho au désir de voler contraire de son père.

Jamais je n’aurai 20 ans, de Jaime Martin (Aire libre, 2016) est le parcours de lutte et de résistance d’Isabel, jeune militante et de son mari Jaime, au sein de la CNT.

Les temps mauvais. Madrid 1936-1939, de Carlos Giménez (Fluide glacial, 2013)  dépeint la vie quotidienne des civils tâchant de survivre aux bombardements, incendies, exécutions, privations et épidémies dans Madrid assiégée.

Et la trilogie del Doctor Uriel de Sento (La boîte à bulles, 2018) inspiré des Mémoires du Docteur Pablo Uriel Díez, la guerre d’Espagne vue au travers du témoignage d’un jeune médecin fraîchement diplômé, raconté par son gendre Sento. Après la guerre, le docteur Uriel a ensuite exercé comme radiologue à La Corogne et a retrouvé et épousé Cecilia, son amie infirmière. Nous savons par les recherches de Claudine Allende Santa Cruz (MERE-29) que Cecilia et sa maman Purificación ont connu la Retirada et ont intégré le 30 janvier 1939, depuis les Pyrénées Orientales, un convoi qui les a amenées dans le Finistère ; ce train s’est arrêté à Châteaulin le 1er février 1939, puis elles ont été conduites en car jusqu’au pavillon de Sourdis de Quélern (Roscanvel). Pura, comme on l’appelait et Cecilia vont repartir vers l’Espagne le 16 avril 1939 via Hendaye-Irún.

Et bien-sûr « Sept athlètes » (Delcourt, 2017), qui nous est présenté par Christophe Goret « Kris », en l’absence de son co-scénariste Bertrand Galic (MERE-29) et du graphiste catalan David Morancho : 7 athlètes en route vers Barcelone pour participer aux Olympiades populaires de 1936, en protestation aux Jeux Olympiques de Berlin et sa propagande nazie, interrompues par le coup d’état nationaliste du 18 juillet 1936. Il rend ici hommage aux athlètes français engagés dans les colonnes Durruti pour défendre les valeurs de la République.

Un invité surprise d’Iván rentre en scène : Gentil Puig Moreno nous présente son parcours « Fils de l’exil. Itinéraires d’un fils d’exilé républicain catalan » (L’Harmattan, 2016). Arrivé en France à cinq ans,  en février 1939, un niño de la guerra qui a perdu les souvenirs de cette période traumatique de son enfance,  des bombardements vécus par sa famille pendant la guerre et la Retirada, et qui va être en quête de son identité toute sa vie.

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La rencontre avec Maya Tévally (artiste peintre et photographe) et Roselyne Chenu (écrivain) est présentée par Fátima Rodríguez (UBO, HCTI et CRBC), s’appuyant sur des textes de l’écrivain exilé Max Aub.

Elles échangent sur leur expérience de l’exil et du désert parcouru cinquante-cinq fois par Roselyne Chenu. Maya Tévally, elle, a fui son pays de naissance, la Géorgie, en 1993, en pleine guerre des Balkans, le jour de ses 21 ans.  Pendant  quatre mois elle traverse l’Europe, l’Orient et l’Occident. Installée en France, elle sillonne le pays pour interroger deux genres : le portrait et la nature morte en réponse à la tragédie de l’exil qui sont au centre de l’exposition que nous allons découvrir aujourd’hui.

  Soirée,  vernissage  de l’exposition « Retour à Goredja (sur les pas défendus) »:

Au mois d’avril 2018, Maya Tévally entreprend un nouveau périple dans son pays et se rend dans un autre lieu que son lieu de naissance, le lieu interdit et cette série de photos superbes et singulières provient du désert de  Goredja, à 40 kms de sa ville natale de Markhopi, sur la route de la soie, devenue zone frontalière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, et camp militaire soviétique et de ce fait longtemps inaccessible. Les grottes-monastères de David, à moitié vandalisées, vestiges de la chrétienté orthodoxe du désert, hébergent les dernières natures mortes de l’artiste.

Après l’émouvante présentation littéraire et poétique de Fátima Rodríguez, c’est cette  très belle exposition que découvrent les participants du colloque à la salle des Abords de la Faculté des Lettres.

Mardi 2 avril 2019, matin

Une partie de la matinée  est consacrée au parcours des enfants de l’exil républicain espagnol, complétée par le vernissage de l’exposition « J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner. » en fin d’après-midi.

Chronologie des interventions:

1/ la conférence de Rose Duroux (Université Clermont Auvergne, CELIS) : « Enseigner par temps de guerre et d’exil », présentée par Marie Le Bihan (association MERE-29).

Rose Duroux, una niña de la guerra, est une des spécialistes de cet exil des enfants, comme Verónica Sierra Blas (Université de Alcalá de Henares-Madrid) dont il avait été question lors du colloque de 2017 à Brest avec « Paroles orphelines. Les enfants et la guerre d’Espagne (1936-1939) » et dont nous avons suivi depuis 2017 l’exposition itinérante en Espagne et en France « Entre España y Rusia. Recuperando la historia de los niños de la guerra », à partir de la correspondance des enfants espagnols exilés en Russie.

Dans le cadre du projet de l’Agence Nationale pour la Recherche http://enfance-violence-exil.net/, Rose Duroux  a réalisé avec Catherine Milkovitch-Rioux le catalogue de l’exposition « J’ai dessiné la guerre (UNESCO/Presses universitaires Blaise Pascal, 2011). Le regard de Françoise et Alfred Brauner » ainsi que l’ouvrage « Enfances en guerre. Témoignages d’enfants sur la guerre » (Genève, 2013).

À plusieurs reprises, Rose Duroux va faire référence à  Aurélia Moyà-Freire et à son journal « Ma vie en France. Cahier d’exil d’une adolescente espagnole (1939-1943) » où elle retrace son parcours d’exil, sa scolarisation en France. Rose Duroux est, avec Célia Keren et Danielle Corrado, l’auteure de l’avant-propos et de la postface : « comment organiser le chaos ? »

La conférence de Rose essaie de répondre à cette question : dans ce chaos de la guerre, de la Retirada et de l’exil, quelle instruction les enfants espagnols d’abord réfugiés puis exilés ont-ils reçue ?quelles modalités d’enseignement? quels résultats ? a-t-elle favorisé l’intégration dans le pays d’accueil ?

Elle rappelle que les autorités françaises appliquent à l’exode républicain espagnol de janvier-février 1939 deux logiques : la concentration (les camps d’internement) et la dispersion. Sont distribués dans 77 départements quelque 220 000 femmes, enfants et hommes ayant dépassé « l’âge de porter les armes ». On compte ainsi 70 000 enfants, ayant moins de 15 ans et la scolarité est obligatoire « pour français et étrangers jusqu’à 14 ans révolus ». L’enfant peut se trouver dans un centre d’hébergement collectif, une famille d’accueil, dans une colonie. Si le principe de scolarisation est consensuel, en revanche les pratiques diffèrent, selon la situation de l’enfant, selon les convictions des maires, des gestionnaires des refuges, du personnel enseignant et du moment historique (avant ou après la déclaration de la Seconde Guerre mondiale). Les enfants reçoivent un enseignement à l’école primaire communale ou au centre lui-même par des instituteurs détachés ; ces derniers peuvent être secondés ou remplacés par des réfugiés, agréés ou pas, maestros de la República pour certains.

Reste le cas particulier de l’instruction dans les colonies d’enfants, et Rose va s’attarder sur l’une d’entre elles : le Château de Larade, à côté de Toulouse, gérée par le Secours Suisse et les Quakers qui accueille en moyenne une quarantaine d’enfants catalans entre 4 et 15 ans.

Le professeur Alexandre Galí, pédagogue catalan reconnu, utilise au Château de Larade des méthodes d’enseignement de l’école active européenne (Rousseau, Freinet, Montessori) : place importante au dessin, notamment au dessin mural, aux journaux écrits et imprimés par les enfants, aux concours et expositions de dessins, pratique du huerto escolar qui stimule le développement de l’enfant. Jonction des différentes cultures, espagnole, catalane, française.

Rose présente des exemples de ces productions et des dessins d’enfants notamment ceux d’Antonia Rodríguez, Montserrat Turtós et Baldomero Barrubes, confiés par Alice Resch.

Le bilan quantitatif et qualitatif de l’instruction reçue par les enfants espagnols s’avère difficile à dresser mais l’École a eu un rôle central: l’École Française est devenue rapidement assimilatrice et a aidé les enfants à structurer le chaos.

Un exemple remarquable est celui d’Aurélia Moyà-Freire qui écrit son journal d’exil « Ma vie en France. Cahier d’exil d’une adolescente espagnole (1939-1943) » : elle a appris les rudiments du français à l’école d’Arbeca (province de Lleida) et elle a eu la présence d’esprit de prendre avec elle, lors de la Retirada, son dictionnaire franco-espagnol. Elle consigne d’abord, dans un français débutant mêlé d’espagnol, les faits marquants de sa vie d’exilée en France et celle de sa famille ; puis accueillie dans une famille et scolarisée à l’école primaire de Plancher-Bas (Vosges), elle va très rapidement montrer sa maîtrise de la langue dans ses “Mémoires” mais aussi en faisant classe avec ses amies au camp de Miellin (Haute-Saône). Au centre d’hébergement de Sées (Orne), désœuvrée et déscolarisée, elle va ensuite rédiger une seconde version de son journal d’exil en espagnol, avec l’aide d’un réfugié.…

Une école française assimilatrice aussi pour Rose Duroux qui témoigne ici de sa gratitude: « yo soy una niña de la guerra, pasé la frontera en brazos de mi mamá y no fue muy mal y que puedo decir que la Escuela fue buena para mi, pues soy catedrática… » (« je suis une niña de la guerra, j’ai passé la frontière dans les bras de ma maman, et je peux dire que l’École a été bonne pour moi car je suis  professeure émérite et c’est la France qui m’a offert tout ça »).

2/ La thématique de l’exil des enfants se poursuit avec la conférence de Jean Sala Pala (association MERE-29) : « Le Finistère : accueil et vie des enfants de la guerre d’Espagne » .

La guerre d’Espagne précipite dans le Finistère l’arrivée de 6000 civils dont la moitié d’enfants. Ces arrivées se sont effectuées en 2 vagues. La 1ère vague venant du nord-cantabrique (Pays Basque, Santander, Asturies) se produit durant le printemps et l’été 1937. Le 1er groupe, formé de 443 enfants venus sans leur maman, arrive le 8 mai 1937 à Plouhinec et constitue un cas exceptionnel car toutes les opérations sont pilotées et financées par la C.G.T. Pour les groupes qui vont suivre, et qui vont amener dans le département 1700 civils dont 800 enfants, les opérations sont menées pour l’État par le Préfet. Ces réfugiés sont répartis sur un nombre élevé de communes du département, certaines en accueillent plus d’une centaine, d’autres quelques-uns, d’où des conditions de vie variées , dans les familles d’accueil ou les colonies d’enfants, Bertheaume, Porspoder, Le Conquet, Saint-Pierre, Lesneven, Plouhinec, Concarneau, Quimper, Quimperlé, Roscanvel. Tous devront retourner en Espagne à l’automne, compte-tenu des exigences de Camille Chautemps (chef du gouvernement français, 29 juin 1937/14 janvier 1938). La 2nde vague se produit lors de la Retirada en février 1939. En 8 jours, du 1er au 8 février, arrivent dans le Finistère de l’ordre de 1700 enfants. De même qu’en 1937, ils sont dispersés sur un nombre élevé de communes finistériennes où les retours en Espagne commencent le 30 mars 1939 et s’effectuent à allure modérée jusqu’au 14 août : il reste alors 1100 enfants.

En ce qui concerne la scolarisation des enfants, par manque de directives des autorités françaises, la scolarisation à l’école primaire a été problématique dans certaines communes du département, dépendant des convictions des maires.

3/ Pierre Souchar (chef opérateur prises de vues, association MERE-29), présente le projet de témoignages filmés d’enfants de l’exil républicain espagnol, dont le but est de constituer un corpus audio-visuel, en tant que traces de mémoire, pour les générations futures.

Nous partageons avec beaucoup d’intérêt et d’émotions la projection de « L’exil en héritage », constitué des témoignages filmés de membres de MERE-29 : Claudine Allende Santa Cruz, Jean Sala Pala, Jean et Eduardo Caro, Monique Escobar et Régine El Kholi, témoignages menés selon 4 axes :

  • Le parcours politique et la vie en Espagne avant l’exil
  • Le parcours d’exil
  • L’intégration et la vie en France
  • La transmission de cet exil

Clôture de la matinée:

Représentant  La Casa de la Memoria La Sauceda  (Jimena de la Frontera, Cádiz), Fernando Sígler et Juan Carrasco présentent leur projet Memoria y Exilio, centré sur l’exil espagnol et andalou en France, qui utilise comme support entretien et questionnaire.

Puis Fernando Sígler évoque le parcours d’un député de la Izquierda Republicana, « Manuel Muñoz Martínez : un dirigeant républicain de Cadix exilé en Bretagne ». Réfugié à Pont-l’Abbé dans le Manoir de Tréouguy appartenant à un parent (cousin peut-être éloigné) l’industriel français Charles Fol, c’est là que Manuel  sera arrêté par la Gestapo le 14 octobre 1940 à la demande de la police espagnole. Il sera transféré à la prison de Brest puis à la prison de la Santé à Paris. Il y restera  2 ans. Il  sera extradé sur ordre du maréchal Pétain à Madrid par la police nazie puis condamné à mort par un conseil de guerre et fusillé le 1er décembre 1942 au Cementerio del Este de Madrid. Il était le compagnon de Araceli Zambrano, sœur de l’écrivaine et philosophe María Zambrano.

Manoir de Tréouguy à Pont-l’Abbé appartenant à la famille de Charles FOL

Fernando Sígler Silvera a écrit et fait publier en 2010 par la Editorial Tréveris (ISBN : 978-84-937245-7-3) le livre relatant l’épopée de Manuel Muñoz Martínez : “CAUTIVO DE LA GESTAPO. Legado y tragedia del dirigente republicano y masón gatidano Manuel Muñoz Martínez.

Mardi 2 avril 2019, l’après-midi, c’est le volet pédagogique du colloque :

Quel plaisir d’assister au théâtre amateur avec les étudiants de la Licence LLCER Espagnol, mise en scène de Mónica Hernández et Eva Montoya García (lectrices UBO). L’œuvre choisie est « Crímenes ejemplares » de Max Aub.

 

 

Place à la séance « Dynamique de l’enseignement de l’espagnol dans le secondaire dans l’Académie de Rennes », présidée par Marie-Agnès Maille (association MERE-29). Stéphanie Cariou et Carine Fauvet (IA-IPR Langues vivantes-Espagnol, Académie de Rennes), nous expliquent cette dynamique.

Présentation de projets pédagogiques sur la guerre d’Espagne et l’exil de :

  • Jordan Rigous, Catherine Fernández, Laurent Crocq et les élèves du lycée Pierre Guéguen (Concarneau)
  • Cristina Ruiz Guerrero (Sección Internacional Española, collège Quatre Moulins et lycée Amiral Ronarc’h, Brest) et des élèves, présente ses projets et ceux de Padín Nogueira (lycée Amiral Ronarc’h, Brest) et José Luis Pérez Ordóñez (collège Quatre Moulins, Brest)
  • Marjorie Picard-Guillois et des élèves du lycée de l’Harteloire (Brest)
  • Marie-Agnès Maille présente les projets d’Éric Le Moal (lycée de l’Élorn, Landerneau)
  • Eva Morena (lycée Léonard de Vinci, Saint-Brieuc) et Rodrigo de la Campa Mariño (lycée Sacré-Cœur, Saint-Brieuc).

Les élèves des collèges et lycées présentent leurs riches productions (lettres, poésies, bandes dessinées, etc…), attestant d’un travail remarquable  sur le sujet et du dynamisme de ces sections.

Vernissage de l’exposition « J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner », au Forum des étudiant-e-s. La coordination de l’exposition est assurée par Andreina Gil Santander (étudiante UBO, LEA L3).

L’exposition présente 25 panneaux qui retracent l’histoire des conflits contemporains à partir de dessins d’enfants qui en livrent un témoignage réaliste et poignant, de la guerre des Boers à des conflits plus récents, guerre du Liban, Palestine… Elle a été présentée la première fois au siège de l’Unesco à Paris du 7 au 11 décembre 2011, dans le cadre du programme d’éducation des enfants en détresse. Certains dessins ont donc été réalisés pendant le guerre d’Espagne et collectés par Françoise et Alfred Brauner. Ils se sont engagés, en 1937, elle comme médecin à l’hôpital des Brigades Internationales de Benicàssim (Benicasim) et lui comme pédagogue dans les colonies d’enfants espagnols évacués des zones républicaines.

L’exposition est accompagnée d’un film documentaire : « Lo que yo he visto de la guerra : los dibujos infantiles de la colección Brauner (1937-1938) », financé par la Deputación provincial de Guadalajara. C’est un extrait du film « J’ai dessiné la guerre » (2000), de Guy Baudon et Luca Gaboardi: Alfred Brauner analyse une série de dessins qu’il a choisis, réalisés par les enfants pendant la guerre d’Espagne, accompagnés de leurs commentaires, comme une visite guidée. Alfred Brauner nous fait prendre conscience des mécanismes de défense mis en place par les enfants. Par exemple l’insertion d’un détail optimiste comme dans le cas du dessin « le cinéma ne brûle pas », sur lequel on voit un cinéma intact alors que sont détruits tous les bâtiments alentour ou celui de placer un minuscule canot de survie avec deux survivants au pied d’un cargo en flammes (« Un barco bombardeo en Benicàssim »).

Il est possible d’emprunter ce DVD à la Bibliothèque Universitaire de l’UBO ainsi que le catalogue de l’exposition “J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner“, que nous a laissés Rose Duroux.

Françoise et Alfred Brauner, nous dit Rose Duroux, ont senti la force du dessin, sa fonction réparatrice, thérapeutique, sa capacité irremplaçable de témoignage. Ils sont à côté des enfants quand les bombes tombent et les observent en train de dessiner: leur tension au moment de représenter ce qui avait provoqué la peur, le relâchement à l’heure de figurer les détails. C’est dans cette pratique de terrain, pendant la guerre d’Espagne, que les Brauner ont complété leurs études théoriques antérieures de médecine, psychologie et pédagogie et ont pris conscience, comme d’autres observateurs, de toute l’importance du dessin d’enfant dans cette tragédie. Ils n’ont jamais oublié cette leçon. Après la guerre, leurs efforts se tourneront autour de la réadaptation des enfants perturbés du fait d’un environnement défavorable comme la guerre via les pratiques artistiques. Ils ont  glané toute leur vie des dessins d’enfants, des « voix de papier ».

Mercredi 3 avril, matin

Présidée par  María José Fernández Vicente (UBO, HCTI),  la matinée donne la parole aux écrivains et figures importantes de l’exil littéraire: José Bergamín, Max Aub et Luisa Carnés.

C’est d’abord la conférence de Manuel Aznar Soler (U. Autònoma de Barcelona, GEXEL),  présenté par Rose Duroux : « José Bergamín y la Junta de Cultura Española (1939-1940) ». Grand spécialiste de la récupération de la littérature républicaine et de la mémoire de ces écrivains, dans le cadre du Groupe d’Études de l’Exil Littéraire (GEXEL), Manuel Aznar Soler évoque un moment particulier de cet exil et de celui de José Bergamín qui, alors qu’il préside  l’Alliance des Intellectuels pour la Défense de la culture pendant les années de la guerre d’Espagne (1936-1939), est également le premier président du Conseil pour l’expansion de la culture espagnole créée en mars 1936 à Paris , la Junta de la Cultura Española. Cette intervention  reconstitue le processus qui a amené la rupture entre Bergamín et Juan Larrea, à travers les rapports des réunions de la Junta de la Cultura Española, avant l’exil au Mexique de la plupart de ses membres.

Puis celle de María Teresa Santa María Fernández (U. Internacional de La Rioja, GEXEL), « El teatro de Bergamín en Francia »  nous donne des éclairages sur les exils de Bergamín en France.

 Max Hidalgo Nácher (U.Barcelona, GEXEL), dont la conférence s’intitule « Voces del exilio : las vueltas de Max Aub y José Bergamín » amène un regard croisé entre Max Aub et José Bergamín, voix de l’exil qui ont le plus soutenu la República et une réflexion sur la problématique de l’exil littéraire.

Nous terminons cette passionnante matinée avec Eugénie Romon (UBO, HCTI) et « Tea roomsquestionnements autour du travail féminin dans le Madrid des années 30 », à partir de « Tea rooms. Mujeres obreras », de Luisa Carnés. Nous avions fait connaissance avec l’œuvre et le parcours d’exil de cette écrivaine madrilène, lors du Colloque à Brest en 2017, grâce à l’intervention d’Antonio Plaza Plaza ( U. Autónoma Madrid) :  « De Barcelona a la Bretaña francesa. Episodios del heroísmo y martirio de la evacuación española (Memorias). Avec « Tea rooms », cette fois  nous sommes dans le Madrid de la pré-guerre d’Espagne, en 1934. À travers le personnage de Matilde, alter ego de l’auteure et de ses compagnes employées d’un salon de thé à côté de la Puerta del sol,  Antonia, Paca et Laurita, Luisa Carnés analyse la société madrilène et pointe les inégalités entre les hommes et les femmes. Considérée aujourd’hui comme l’une des plus importantes narratrices féminines de la Generación del 27, elle dépeint avec un regard lucide la condition féminine du début du 20ème siècle, celle de femmes habituées à se taire devant le père, devant le mari, devant le chef et leur subordination à la religion. Elle annonce aussi une période de changement pour l’Espagne avec un questionnement autour de l’émancipation des femmes à travers la lutte collective et les grèves, la culture :« ¿ Cuándo será oída su voz ? » est la dernière phrase de ce roman-reportage.

Nous poursuivons notre réflexion sur la problématique de l’exil littéraire grâce à une anecdote confiée par Roselyne Chenu : l’été 1957, elle avait  apporté, clandestinement de Paris à Madrid toute une malle de livres à José Bergamín, son père spirituel.

Mercredi 3 avril 2019, l’après-midi commence avec  la 2ème invitée surprise du colloque, Leonor Canales (Cie À Petit Pas & Coopérative artistique 109) et son récit poétique: « Un homme d’une soixantaine d’années regarde la mer » est une belle introduction  au cœur de la problématique de la mémoire historique en Espagne et de son écriture.

Un éclairage très documenté va nous être donné par  Père Soler Paricio (U. Bretagne Sud, HCTI)  sur « La mémoire historique en Espagne: de la revendication citoyenne à la bataille législative. La longue marche vers la reconnaissance du passé traumatique du pays ». Focus sur la Ley de Amnistía (1977) et « el Pacto del Olvido », la Ley de Memoria Histórica (2007), sur les mouvements citoyens et les institutions de l’Administration qui essayent de restituer la dignité des victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste, alors que depuis 2013-2014 le gouvernement de Mariano Rajoy a annulé les dotations budgétaires qui se rapportent à l’application de la loi. Il en résulte un traitement inégal de l’application de la Ley de Memoria Histórica entre les régions autonomes entre 2015 et 2018, certaines l’appliquant intégralement (Pays basque, Navarre, Catalogne, Andalousie, Valence), les autres partiellement (Aragon,  Baléares, Asturies, Castille-La Manche, Extrémadure).  Le sujet est très polémique.

 

Françoise Dubosquet (U. Rennes 2, ERIMIT) nous parle elle des « Héritiers de la mémoire » et d’une littérature qui aurait envahi la mémoire historique. Soizic dresse une rétrospective des romans de la mémoire et évoque un « boom » de ces romans depuis la parution en 1973 de « Si te dicen que caí » de Juan Marsé, l’histoire d’un enfant dans le Barcelone de l’après-guerre et cite: « Luna de lobos » (1985) de Julio Llamazares , « Beatus ille » (1986) de Antonio Muñoz  Molina, « Le pianiste » (1988) de Manuel Vázquez Montalbán, « La longue marche »(1996) et « La chute de Madrid » (2003) de Rafael Chirbes, « El lápiz del carpintero » (1998) de Manuel Rivas Barros, « La voz dormida » (2002) de Dulce Chacón , « Les soldats de Salamine » (2001) de Javier Cercas, « Cœur glacé » (2007) de Almudena Grandes ainsi que ses quatre Episodios de una Guerra interminable: « Inés et la joie » (2010), « Le lecteur de Jules Verne » (2012), « Les 3 mariages de Manolita » (2014), « Los pacientes del Doctor García » (2017) et de Jordi Soler: « Los rojos de ultramar » (2004) ainsi que « La fiesta del oso » (2009) et « La guerra perdida »(2012). Utilisant souvent des constructions littéraires  à partir de cahiers retrouvés, de photographies de familles, d’enquêtes d’autobiographies fictionnelles, ces romans s’installent selon Soizic dans un vide mémoriel car il n’y a pas d’histoire officielle de la mémoire: ce passé traumatique ne « passe pas » et ne « peut pas passer » puisqu’il n’a pas été « traité », de la même manière qu’un symptôme « non traité ».

Et viennent des moments forts, chargés d’émotions  avec Alfons Cervera (journaliste et écrivain), présenté par Georges Tyras (U. Grenoble Alpes) : « L’écriture et la mémoire dans l’œuvre d’Alfons Cervera ».

Nous avions fait connaissance d’Alfons Cervera lors du colloque de 2017, avec sa conférence « Littérature et mémoire dans l’Espagne du XXI ème siècle » puis à la Petite Librairie où il avait présenté son  ouvrage « La nuit immobile ».

Depuis les années 90, les romans d’Alfons Cervera sont dédiés à la récupération de la mémoire historique et démocratique, qui tente de donner aux vaincus  de la guerre d’Espagne, une voix qui leur est encore déniée. Son roman emblématique est « Maquis » (1997), qui a été pendant 2 ans au programme de l’Agrégation pour les étudiants en langue et littérature espagnoles. Alfons Cervera est un écrivain très charismatique qui nous avait laissé une forte impression pendant le colloque, apportant une réflexion forte sur la littérature de la mémoire et sur la question de la démocratie en Espagne.

En effet, il s’attaque à la culture politique de réconciliation et de consensus de la Transition démocratique, qui s’est inscrite dans une tradition héritée du franquisme, d’instrumentalisation politique du passé, niant le passé traumatique des vaincus contraints au silence. Il s’attaque aussi à une littérature  de la mémoire comme celle d’Antonio Muñoz Molina, de Javier Cercas. Alfons Cervera revendique une récupération de la mémoire des vaincus de la guerre civile par la restitution de la vérité historique: la guerre d’Espagne éclate parce que le Coup d’État nationaliste du 18 juillet 1936 échoue, vient ensuite une guerre d’extermination avec des vainqueurs et des vaincus ; les vaincus vont être ensuite pendant 40 ans culpabilisés, tenus au silence et anéantis par la dictature franquiste qui leur a tout volé jusqu’à leur mémoire.

Aujourd’hui, Georges Tyras nous parle de cette approche politique et passionnée d’Alfons Cervera dans ses différents romans qui ne sont pas des romans de mémoire sentimentale mais des romans de la mémoire, une mémoire humaniste des vaincus qui ne se résignent pas et qui a un impératif moral de dire la vérité. Il distingue 2 périodes dans son œuvre, une période tournée vers la mémoire collective, avec l’épopée populaire du village de Gestalgar (Province de Valence), composée de la trilogie « La couleur du crépuscule »(1995), « Maquis » (1997) et  « La nuit immobile » (1999) et une période tournée vers une mémoire plus familiale et intime, avec  « Ces vies-là » (2011), « Tant de larmes ont coulé depuis » (2014) et « Un autre monde » (2016) qui donne encore plus de force à son engagement.

Et nous allons écouter Alfons Cervera jusque tard dans la soirée, dans 3 lieux différents, la Faculté Victor Segalen, la librairie Dialogues et le cinéma Les studios à Brest.

Et ce qu’il a à nous dire de ses deux derniers livres: « La noche en que los Beatles llegaron a Barcelona », Piel de Zapa (2017) et « Un autre monde », La Contre-Allée (2016).

« La noche en que los Beatles llegaron a Barcelona » a comme sous-titre « Crónica de un concierto con doce canciones y alguna que otra sonora interferencia », c’est comme le dit Alfons Cervera « una  historia con doble banda sonora, la de los Beatles y la de la Bestia ».

Le 3 juillet 1965, les Beatles ont joué sur la Plaza Monumental de Barcelone. Dans les sous-sols du commissariat situé au numéro 43 de la Vía Laietana, se déroulait à la même heure un autre enfer très différent de «Twist and Shout» et des autres chansons de cette nuit. Deux jeunes quittent le village de Los Yesares (le village de la trilogie de Gestalgar), pour assister au concert et ce qu’ils rencontrent, ce ne sont pas les cris des tribunes les accompagnant mais l’horreur la plus ignoble. Un des plus violents policiers du franquisme représente cette horreur, la cruauté d’un pouvoir qui n’a besoin de rien expliquer, ni justifier pour exercer cette cruauté avec l’impunité la plus absolue.

« Ce roman est  dédié à Luis Montero García, Juan Mañas Morales et Luis Cobo Mier. Le 10 mai 1981, leurs corps torturés, assassinés et brûlés ont été retrouvés dans un ravin de Gérgal (province de Almería). Ils n’avaient rien à voir avec l’E.T.A. C’est, ce dont la Garde Civile les accusait, qui les a détenus, les a torturés et les a assassinés sans aucune preuve. La réalité est très différente. Les trois jeunes gens allaient à la communion de Francisco Mañas Morales, le petit frère de Juan Mañas MoralesJe ne sais pas si nous nous rappelons de ces crimes. La Transición a eu un talent spécial pour nous changer la mémoire de cette époque par le silence et l’oubli », peut-on lire dans l’introduction.

Il s’agit donc d’un fait réel, « El caso Almería », qui s’est déroulé le 7 mai 1981, à la fin de la Transición democrática ou dictatura blanda (dictature molle). Le policier du roman, c’est Antonio Juan Creix, un des policiers les plus efficaces de la dictature franquiste, « el gran torturador (tortionnaire)  franquista », « el maestro de la tortura ».

Le 15 novembre 2018, Alfons Cervera a été invité à la librairie « La Vorágine » de Santander à participer à  la « Narrativa contra la injusticia », dédiée à ces 3 jeunes de Santander, las víctimas del Caso Almería, une initiative de la Asociación de recuperación de la Memoria Colectiva de Cantabria « Desmemoriados ».

« La noche en que los Beatles llegaron a Barcelona » insiste encore une fois sur la nécessité de se souvenir, de nous interroger sur ce passé traumatique qui ” ne passe pas “. De la page 152 à la page 155, Alfons Cervera rend ici hommage à Brest « esa ciudad del Finisterre francés destruida por la aviación aliada en la Segunda Guerra Mundial » ainsi qu’à MERE-29: « Escucho en la Universidad de Brest y en las voces de la Asociación MERE 29 los testimonios de ese exilio del que casi nada conocía. En algún sitio le dije antes de ahora: aquello capaz de conmovernos ya nos pertenece.»

 Traduction proposée de l’hommage rendu à MERE 29 par Alfons: J’entends à l’Université de Brest et dans les voix de l’Association MERE 29 les témoignages de cet exil duquel je ne ne connaissais presque rien. Dans un autre lieu je leur ai dit avant aujourd’hui: ce qui est capable de nous émouvoir nous appartient déjà.     

Mercredi 3 avril, fin d’après-midi au café de la librairie Dialogues, Parvis Marie-Paul Kermarec, rencontre avec Alfons Cervera, qui présente « Un autre monde » (La Contre-Allée, 2018) , avec son traducteur Georges Tyras.

Cette rencontre en espagnol, traduite en français, riche en  échanges et émotions, pleine d’humour aussi malgré la gravité du sujet, a été très bien conduite par Laure-Anne Capelleso de la librairie Dialogues.

« Alfons, fils de boulanger, a longtemps pétri la pâte à pain, et ses rêves d’enfants, aux côtés de son père, un père qui ne parlait pas, et dont le silence reste un mystère aujourd’hui encore bien longtemps après sa mort. Dans « Un autre monde », Alfons Cervera s’adresse à ce père qui n’évoque jamais ni son métier, ni l’errance familiale de village en village, ni son talent pour le théâtre, ni cet épisode de résistance citoyenne que le hasard permettra à l’auteur et narrateur de découvrir. Les interrogations que Alfons Cervera soulève en convoquant au fil des pages Faulkner, Lampudesa, Silver Kane, Onetti, Chirbes, Mac Donald, Dostoïevski, Kafka et maints auteurs, butent sur un mutisme irréversible. Dès lors, « Un autre monde » devient moins une lettre au père qu’un “ roman sur le silence ”  nous dit Georges Tyras.

“ Un ouvrage sur le traumatisme et l’impossibilité à en sortir pour mon père ”, ajoute Alfons Cervera: “ Tu étais un flamboyant caporal de l’armée. Par la suite, j’ai appris qu’il y avait deux armées. Et que la tienne avait été vaincue.”

La rencontre s’est achevée par une séance de dédicaces.

Mercredi 3 avril, soirée, dans le cadre du 31ème Festival du cinéma espagnol et latino-américain de Brest (séance spéciale), Ciné-Rencontre: « El silencio de otros » (Espagne, 2018), d’Almudena Carracedo et Robert Bahar, prix Goya 2019 du meilleur long métrage documentaire. Projection suivie d’un échange sur la question de la mémoire avec Alfons Cervera et Georges Tyras, présentés par Marie-Agnès Maille. Traduction Nathalie Narváez (UBO, HCTI).

« El silencio de otros » montre la lutte passée sous silence des victimes du long régime de Franco qui continuent de chercher justice de cette époque jusqu’à nos jours : Ascención souhaite exhumer le corps de son père enterré dans une fosse commune ; José ne comprend pas comment il peut habiter à quelques mètres de son ancien bourreau ; María aimerait trouver la trace de son enfant volé à la naissance. Durant six ans, le film a suivi les victimes et les survivants du régime alors qu’ils organisent ce que l’on a appelé « la plainte argentine », pour rompre «

le pacte de l’oubli » et faire condamner les coupables.

Jeudi 4 avril, par une  belle journée finistérienne,  le colloque traverse la rade de Brest pour Camaret-sur-Mer, en presqu’île de Crozon afin de retrouver et d’assister, salle Saint-Yves, à la conférence de María Lopo ( U. Rennes 2, CRBC) : « Vie de goéland. Maria Casarès et la Bretagne ». Elle est présentée par Claudine Allende Santa Cruz, qui a rencontré María en Galice, à Santiago de Compostela.

Nous avons fait connaissance avec María Lopo, spécialiste de la biographie de Maria Casarès, lors de la Journée d’étude « Mémoire de l’exil: de la Galice à la Bretagne », organisée le mercredi 25 octobre 2017 à la Faculté Victor Segalen, par l’UBO et MERE-29,  où elle a évoqué la figure de l’actrice : « Maria Casarès, racines galiciennes et mémoire républicaine d’une actrice exilée ».

María Lopo consacre aujourd’hui cette conférence à la description et à l’analyse de l’attachement profond de l’actrice à la Bretagne, particulièrement à Camaret dans le Finistère, qu’elle considérait sa Galice d’adoption. María évoque les différents séjours de Maria Casarès à Camaret, 7 voyages entre 1937 et 1945, où elle se sent moins exilée, par le paysage, la nature et les éléments, la mer et le celtisme, rappels de la Galice. Elle nous lit des extraits de sa « Correspondance » avec  Albert Camus  qui l’appelait « Mon Finistère ». Des textes très poétiques,  lus avec tellement d’enchantement  par la “fée” María Lopo,  de ses explorations dangereuses des grottes du Toulinguet, de ses bains nocturnes comme dans son enfance galicienne.

Après le repas de l’amitié à l’hôtel-restaurant du Styvel, nous visitons le Centre d’interprétation de la fortification de la tour Vauban.

Un beau lieu chargé d’histoire(s) et une belle façon de se quitter pour clôturer cette semaine de 4 jours de colloque. Avec le sentiment d’appartenir à une même famille, “un sentir común” como lo dice Fátima.

Au revoir donc et au prochain colloque à Brest !!

Marie Le Bihan

LIENS vers articles MERE-29:

  1. Thématique enfance (livres, expositions de dessins, films, autobiographies) :

2) Film “Le silence des autres

3) Colloque “L’exil espagnol en Bretagne: 80ième anniversaire de l’arrivée des premiers réfugiés espagnols (1937-2017)”